De Loudéac à Locminé, en passant par Pontivy, le Centre Bretagne compte aujourd’hui trois bagadoù. Si la Kerlenn Pondi évolue parmi l’élite, les deux autres ensembles, plus récents, entendent bien miser sur la jeunesse pour se développer.
S’ils apparaissent aujourd’hui comme l’un des éléments emblématiques de la Bretagne, les bagadoù demeurent une création assez récente. Leur naissance remonte à un peu plus de 60 ans seulement. Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, la culture bretonne ne bénéficie pas d’une image particulièrement favorable. Pire, agissant comme un véritable complexe, elle est même considérée par une majorité de Bretons, comme un obstacle au progrès.
Réelle dans la vie de tous les jours, la fracture l’est encore davantage dans le milieu musical. Le couple biniou-bombarde qui a pourtant connu ses heures de gloire est en voie de disparition. L’heure est désormais aux ensembles. L’armée britannique a en effet popularisé l’image et la musique des pipe-bands écossais. Une image qui impressionne autant qu’elle suscite l’intérêt. Des tentatives sont effectuées dans le milieu militaire pour réunir des sonneurs en formation de défilé. Mais en 1948, c’est finalement Polig Monjaret qui créé le premier bagad, à Carhaix. Il prend immédiatement la forme qu’on lui connaît aujourd’hui et est composé de trois pupitres : bombardes-cornemuses, caisses claires et percussions (lire page 8). L’initiative fait rapidement des émules et des bagadoù se forment aux quatre coins de Bretagne.
Née quelques années plus tôt, l’association Bodadeg ar Sonerion (« Assemblée des sonneurs »), va rapidement structurer et accompagner le développement de ce phénomène culturel. Dès 1949, elle met en place un concours national des bagadoù. Et là encore le succès est rapide puisque dès le milieu des années 50, plusieurs dizaines bagadoù sont recensés en Bretagne, mais également dans toute la France.
Les bagadoù répartis en cinq catégories
Aujourd’hui plus d’une centaine de bagadoù, désormais répartis en cinq catégories, participent chaque année aux concours qui se déclinent en deux manches. À l’issue de celles-ci, le bagad vainqueur de la première catégorie, dont la finale se déroule au mois d’août, au festival interceltique de Lorient, est sacré champion national. Depuis maintenant quatre années consécutives, c’est le bagad Kemper qui truste les titres. Dans chaque catégorie, les derniers sont rélégués à l’échelon inférieur alors que les premiers sont promus à l’échelon supérieur.
Dans ces compétitions annuelles toujours très disputées, le Centre Bretagne compte trois représentants. La Kerlen Pondi, bien sûr, qui évolue depuis déjà de nombreuses années dans l’élite (lire page 6). Les deux autres, le bagad du pays de Locminé et le bagad de Loudéac (lire page 7), qui évoluent respectivement en 4e et 5e catégorie, n’aspirent qu’à progresser.
Kerlenn Pondi : sexagénaire en pleine forme
Champion national des bagadoù en 2001, la Kerlenn Pondi demeure toujours l’un des meilleurs ensembles régionaux. Une référence dans le Centre Bretagne qui cultive aussi sa différence par une large ouverture aux musiques du monde.
Si la création officielle de la Kerlenn Pondi qui vient de fêter son 60e anniversaire, date bien de 1953, ses origines remontent en fait au début des années 30. Très exactement en 1932. Cette année-là, un groupe de jeunes Pontivyens désireux de faire connaître les costumes, les danses et les chants de leur pays, fondent en effet le groupe des « Moutons blancs ». La Seconde Guerre mondiale va cependant mettre un terme à l’existence de la toute jeune association.
Il faudra donc attendre le début des années 50, pour que l’aventure trouve un second souffle. Désormais baptisée « Kerlenn Pondi », la nouvelle association se donne pour objectif : » l’étude du folklore régional, comprenant la musique, les danses, les chants, le théâtre… » Ils ne sont alors qu’une poignée de musiciens et de danseurs, mais déjà ils sont sollicités. Dès le mois de mars 1954, la Kerlenn effectue sa première sortie officielle lors d’un match de football opposant deux équipes locales. Et très rapidement, l’effectif s’étoffe. Qu’il s’agisse d’anciens sonneurs de la région ou de néophytes, le bagad pontivyen attire.
Passion et travail
Surtout, dès 1957 les Pontivyens disputent le championnat des bagadoù organisé par l’association Bodageg ar Sonerion. Oh bien sûr, ils ne font pas de miracle. Mais qu’importe, le plaisir de jouer et de se retrouver est à chaque fois renouvelé. La passion et le travail vont finalement payer. En 1982, la Kerlenn Pondi décroche le titre de champion de 3e catégorie et accède à l’échelon supérieur. De la seconde à la première, il y a une marche loin d’être inaccessible et que le bagad va même franchir. Après deux titres de vice-champion national des bagadoù en 1997 et 1999, la Kerlenn décroche le graal en 2001 en accédant à la plus haute marche du podium de la première catégorie. L’émotion et la consécration sont au rendez-vous. » Un concert de haute volée qui restera dans les annales comme l’une des plus belles pages de la musique bretonne « , n’hésite d’ailleurs pas à commenter un quotidien régional, au lendemain de cette victoire historique.
Certes, depuis, la Kerlenn n’a pas réussi à rééditer cet exploit. Mais l’essentiel n’est sans doute pas là. Chaque année, à Brest comme à Lorient, elle honore son rang et se classe régulièrement dans le milieu de tableau de l’élite. Car au fil des décennies, des présidents et des penn sonneurs, elle a su développer une culture qui lui est propre : celle de la transmission et de l’ouverture.
Relève assurée
Présente dès l’origine, cette volonté de transmettre aux jeunes générations s’est développée et accentuée. Bien sûr, les anciens sont toujours là pour conseiller les plus jeunes. Mais la force de la mémoire se double aujourd’hui d’un partenariat avec le conservatoire de musique et de danse qui fait de la formation, l’une des fondations même de l’association. Et les résultats sont là. L’an passé, le bagadig (ce que les sportifs qualifieraient de réserve de l’équipe première), a décroché sa place en 3e catégorie. Un exploit loin d’être anodin, car les ensembles bénéficiant d’un bagadig à ce niveau, se comptent encore sur les doigts d’une main. Et il devrait avoir les moyens de s’y maintenir car la relève sera désormais assurée par la création récente d’un bagadigan, un réservoir de débutants mais aussi de talents.
Si la jeunesse et le renouvellement demeurent l’une des forces de la Kerlenn Pondi, son ouverture sur le monde et ses musiques, le sont tout autant. Du Népal à Zanzibar, les musiciens pontivyens ont toujours profité de leurs voyages et de leurs rencontres pour enrichir leur culture et leur répertoire. Des richesses que cette association emblématique de la cité partage d’ailleurs régulièrement avec des Pontivyens toujours très fiers de pouvoir apprécier un bagad de cette qualité.
Kevrenn bro Logunec’h : collecter et transmettre
Dans le monde des bagadoù, le bagad du pays de Locminé (Kevrenn bro Logunec’h), n’est encore qu’un adolescent. Créé en 1999, celui qui vient de fêter ses 15 ans, affiche pourtant de réelles ambitions.
Jusqu’à présent, on les connaissait parés d’un gilet noir et orange. D’ici quelques semaines, il faudra s’habituer au nouveau costume des musiciens du bagad du pays de Locminé. Un habit cette fois entièrement noir, tiré d’un modèle local de 1927 et redessiné par une styliste d’Auray.
Aujourd’hui président, Didier Mercier se souvient encore des débuts de l’aventure. Celle de quelques musiciens manquant d’expérience et souhaitant simplement jouer ensemble. C’était en février 1999. L’envie est réelle et grâce à l’association Bodadeg ar Sonerion, des cours sont rapidement mis en place. En même temps que les pionniers font leurs gammes, ils sont rejoints pas d’autres musiciens. Et comme une récompense, ils font leur première apparition en public lors de la Fête de la musique à Locminé, le 21 juin 2002. « Ce n’était pas extraordinaire mais nous étions contents de jouer en public et surtout ensemble », se souvent le président. Depuis, ils sont présents chaque année.
« Monter en 3e catégorie »
Au fil des ans, le bagad s’est amélioré et renforcé. D’une petite dizaine au départ, il compte aujourd’hui près d’une quarantaine de musiciens. Surtout, ils ont pris goût aux prestations publiques lors des fêtes locales ou des voyages effectués en Hongrie, en Roumanie ou encore en Écosse. Ils sont aussi riches de l’ expérience acquise lors des concours auxquels le bagad participe chaque année. Comme leurs homologues, ils ont fait leurs gammes en 5e catégorie. Ils vont d’ailleurs y rester plusieurs années avant de décrocher le titre, en 2011, à Carhaix et d’obtenir leur ticket pour la 4e catégorie. Si le niveau est plus élevé, les Locminois n’ont guère mis de temps à s’y adapter. « Notre ambition est désormais de monter en 3e catégorie», annonce Didier Mercier. Dès le mois de mars prochain à Rennes ou à Pontivy, ils auront l’occasion de démontrer qu’elle n’est pas illégitime.
Cette volonté de s’élever dans la hiérarchie s’appuie autant sur l’expérience des plus anciens que sur la volonté de développer la formation en direction des jeunes. La création d’un bagadig en 2014, apparaît d’ailleurs comme la meilleure illustration de leur philosophie.
Un bagad, mais trois pupitres…
Pour être de formation récente, le bagad a très largement gagné ses lettres de noblesse au point de devenir l’un des emblèmes incontournables de la Bretagne. Il contribue en effet à la popularisation du répertoire musical breton à travers le monde.
Le bagad a longtemps été comparé au pipe band. Les parades en défilés rappelaient d’ailleurs fortement l’allure martiale des formations britanniques. Et de fait, dans leur formation actuelle, les bagadoù ont adopté les cornemuses et les caisses claires de nos amis écossais. La présence de la bombarde lui donne néanmoins une note spécifiquement bretonne.
La structure du bagad repose sur trois pupitres : un pupitre de bombardes ; un pupitre de cornemuses ; un pupitre de caisses claires et de percussions. Chaque pupitre est conduit par un responsable et l’ensemble est supervisé par un penn soner (littéralement chef sonneur). C’est un chef d’orchestre qui définit l’orientation musicale du groupe. C’est lui qui fait les choix de répertoire, lorsqu’il ne le compose pas lui-même.
Le pupitre des bombardes
La bombarde fait partie d’une vaste famille d’instruments à vent, celle des hautbois. C’est un instrument composé d’un tuyau percé, évasé et équipé d’une anche double en roseau. Cette anche, pincée par les lèvres du sonneur, donne un son mordant, riche en harmoniques. En Bretagne, deux bombardes différentes s’imposent : la petite bombarde en ut, répandue en Cornouaille où la vigueur des danses exige une grande virtuosité des sonneurs, et la bombarde en la, plus commune en Vannetais où le rythme des danses est plus sage. Un joueur de bombarde s’appelle un talabarder.
Le pupitre des cornemuses
La cornemuse compte de nombreuses variétés, toutes nées du même principe : une réserve d’air d’où s’échappent des tuyaux produisant les sons. Toutes les cornemuses ont en commun une poche remplie d’air par le souffle du musicien, un chalumeau percé de trous et équipé d’une anche double de roseau et sur lequel le sonneur interprète la mélodie ; et un ou plusieurs bourdons donnant une note unique produite par une anche de roseau à lamelle vibrante.
En Bretagne il existe plusieurs types de cornemuses : le biniou bras, qui est en fait un great Highland bagpipe ; le biniou kozh, l’une des cornemuses les plus aiguës ; la veuze (instrument du marais breton-vendéen à anche double non pincée). Un joueur de cornemuse s’appelle un biniaouer.
Le pupitre de caisses claires et percussions
L’ensemble batterie et percussions se compose de différents éléments : les caisses-claires se composent d’un fût avec une peau de frappe sur le dessus et une deuxième peau de résonance dans le fond. Deux timbres (fils d’acier tendus sur la peau) donnent à ces caisses un son particulier et plus métallique que la caisse-claire de jazz ; les ténors sont des tambours dépourvus de timbres qui produisent un son doux et moelleux ; les grosses caisses sont des tambours de grande taille frappé avec une mailloche à tête de liège ou de feutre, donnant un son puissant et très grave. Elle peut être posée sur un chevalet ou accrochée aux épaules. Ces trois principaux éléments sont complétés par d’autres percussions telles que les toms, les congas, les cymbales ce qui permet d’étoffer le pupitre. Un joueur de tambour et, par extension, de caisse claire s’appelle un tambouliner.
Ici et là ! Retrouvez le dossier complet “Bretagne centrale : les bagadoù ont du souffle !” sur la version en ligne du numéro concerné : Ici et là numéro 4