« GÉGÉ », LE FAISEUR DE GOUTTE
Depuis près de 40 ans, Gérard Le Bris promène son alambic dans le sud du Finistère et le Morbihan. Le distillateur ambulant transforme le cidre de ses clients en une eau de vie à 50°. Une activité encadrée et réglementée.
En cette matinée d’un lundi de juillet, Gérard Le Bris a installé son alambic sur les berges de l’étang du Dordu, à Langoëlan. La semaine précédente, il était à Cléguérec. La semaine suivante, il sera du côté de Guern et Malguénac. De la pointe du Raz au Centre Bretagne, le distillateur ambulant basé dans le sud Finistère, a ses habitudes dans plus d’une cinquantaine de communes. « Nous ne sommes plus qu’une dizaine en Bretagne, explique-t-il. Chacun a son territoire et respecte celui de ses collègues ». Celui que tout le monde appelle affectueusement « Gégé la goutte » aime rappeler que son aventure est une vraie histoire de famille. « Mon père a commencé en 1955. Il distillait dans les villages autour de la ferme familiale et l’alambic était tracté par un cheval », sourit-il. À l’époque, la journée de distillation était une véritable fête du village. C’était très animé… Et très festif. Les séances de dégustation pour savoir qui avait la meilleure goutte avaient tendance à s’éterniser. Heureusement, le cheval connaissait le chemin du retour et le client pouvait sans crainte dormir dans la charrette !
20 litres à 50°
Titulaire d’un certificat de serrurier-métallier, Gérard va pourtant rapidement choisir une orientation professionnelle bien différente, mais naturelle… la distillation. Pendant quelques années, il va d’abord travailler avec son père. Et, lorsqu’au milieu des années 80, celui-ci fait valoir ses droits à la retraite, il prend le relais et poursuit l’aventure familiale. Les clients sont encore nombreux à apporter leur cidre pour le transformer en eau de vie. « Gégé » doit même embaucher un ami pour le seconder. Au fil des années, l’activité va néanmoins fortement chuter et pour pérenniser l’entreprise, il doit se résoudre à poursuivre seul. La diminution du nombre d’exploitations et d’agriculteurs qui produisaient eux-mêmes leur cidre, explique cette baisse. L’évolution de la législation, sans doute aussi. En effet, le privilège de bouilleur de cru remonte à Napoléon lorsqu’il accorda une exonération de taxes pour la distillation de 20 litres d’alcool à 50°. Ce privilège fut héréditaire jusqu’en 1960 où, pour tenter de limiter le fléau de l’alcoolisme dans les campagnes mais aussi sous la pression des lobbies de grands producteurs d’alcool, le législateur en interdit la transmission entre générations. Seul le conjoint survivant pouvait en user jusqu’à sa propre mort, mais plus aucun descendant. Aujourd’hui, le propriétaire d’un verger peut toujours choisir de transformer son cidre en eau de vie. Mais pour cela, il doit nécessairement faire fabriquer son alcool par un distillateur ambulant titulaire d’une licence. « Le client doit fournir le numéro de parcelle où sont plantés les pommiers et un certificat sur l’honneur. Les documents sont ensuite transmis au service des douanes, tout comme la taxe qui s’établit aujourd’hui à 92 € », précise Gérard. La quantité autorisée est toujours limitée à 20 litres d’alcool à 50°, soit l’équivalent d’une barrique de 200 litres de cidre. C’est déjà la fin d’après-midi et le dernier client peut ranger dans son coffre le cubitainer contenant la goutte que Gérard vient de distiller. C’est le moment de déguster un petit verre d’alcool estampillé « Gégé » : une Marie Chatouillette (3/4 d’eau de vie et 1/4 de sirop de sucre de canne) ou une Marie Bizarre (3/4 d’eau de vie et 1/4 de sirop de châtaigne). Avec modération… Forcément !