Le Centre Bretagne : un désert médical ! Depuis de nombreuses années, cette réalité ne fait, hélas, que s’amplifier. Localement, élus, professionnels de santé et associations se mobilisent pour tenter d’y remédier en multipliant les initiatives.

« Un désert médical ! » Associer le Centre Bretagne et la santé, c’est forcément en arriver à cette évidence. Une réalité que les chiffres, toujours têtus, ne font que confirmer. Alors que la moyenne régionale s’établit à environ 10 médecins pour 100 000 patients (et même parfois plus de 15 dans certaines zones littorales), le Centre Bretagne n’en comptabilise qu’un peu plus de 5. Le constat est édifiant, et il n’est pas récent. Depuis des décennies, les mesures prises par l’État se sont limitées à des incitations financières. Résultat, les déserts médicaux n’ont cessé de s’étendre.

Pour les patients, cela se traduit par des difficultés croissantes à trouver un médecin traitant. Ceux qui en disposent voient les délais d’attente s’allonger pour obtenir un rendez-vous et les consultations sans rendez-vous sont parfois difficiles à obtenir. Niveau insuffisant du numerus clausus, c’est-à-dire du nombre d’étudiants en médecine accédant à la deuxième année ; changement de la pratique du métier de jeunes médecins qui ne sont plus disposés à exercer seuls en cabinet et à faire autant d’heures que leurs prédécesseurs… les raisons du manque de médecins sont multiples et variées.

Mobilisation de tous les acteurs

Pour tenter d’y remédier, le plan « Ma santé 2022 » propose des réponses au problème des déserts médicaux : la refonte des études en santé, le déploiement de 400 généralistes en zones sous-denses, de 1 000 communautés professionnelles territoriales de santé, la mise en place d’assistants médicaux. D’autres mesures pourraient s’y ajouter : l’incitation à s’installer en zones sous-denses, l’adaptation des études à l’internat, la sensibilisation des internes aux stages en zones sous-denses. Pour être importantes, ces initiatives ne produiront pas d’effets immédiats. Cette politique doit d’abord et surtout s’appuyer sur la mobilisation des acteurs de terrain. Longtemps absents, les élus ont fini par s’en saisir pour répondre aux attentes de leurs administrés. C’est notamment le cas de la commune du Sourn où le maire a fait le choix de salarier les médecins pour vaincre le désert médical. Un choix audacieux mais payant. Avec bientôt quatre médecins, cette commune de 2 100 habitants a suscité l’intérêt avant d’être imitée (page 6).

Des professionnels ont également souhaité s’engager. La polyclinique de Kério, à Noyal-Pontivy propose désormais un service de consultations et de soins sans rendez-vous… Ouvert du lundi au vendredi, il accueille les patients nécessitant une prise en charge ou des soins rapides (page 7).

Les enseignants ne sont pas en reste. En septembre 2021, une trentaine d’étudiants du Centre Bretagne vont pouvoir suivre leur première année d’études de santé à Pontivy. Une délocalisation de la faculté de médecine de Rennes qui devrait permettre de susciter des vocations (page 8).

Enfin, des associations comme Adalea, veulent aussi contribuer à réduire les inégalités en matière de santé. Depuis l’automne dernier, un camping-car transformé en Point Santé Mobile sillonne le Centre Bretagne. De Merdrignac à Cléguérec, en passant par Rohan, il s’affirme comme un lieu d’accueil, d’écoute et de prévention en matière de soins (page 10).

Médecins salariés au Sourn

médecins salariés au Sourn
Médecins salariés au Sourn

Une première en Bretagne

Salarier les médecins pour vaincre le désert médical… C’est le choix fait par la commune du Sourn, en 2014. Un choix audacieux mais payant. Avec bientôt quatre médecins, cette commune de 2 100 habitants a suscité l’intérêt avant d’être imitée.

« Nous risquions de tout perdre ! » Lorsqu’en 2014, l’unique médecin généraliste de la commune du Sourn lui annonce que l’heure de la retraite ne va pas tarder à sonner, le maire perçoit immédiatement les difficultés auxquelles il va être confronté. Le départ du médecin engendrera inévitablement la fermeture de la pharmacie et sans doute aussi une baisse de l’attractivité commerciale du bourg.

Le Sourn n’est pas un cas isolé. De nombreuses communes rurales sont confrontées à cette même difficulté. Mais ici, la réponse va être différente. Plutôt que de construire un équipement pour tenter ensuite d’attirer un praticien, Jean-Jacques Videlo et son équipe municipale vont inverser la problématique. « Nous voulions d’abord proposer un service, rappelle le maire. On se disait, si on parvient à faire venir un médecin, le reste suivra. » Son idée est alors « hors norme » et ne suscite guère l’enthousiasme des autorités médicales. Elle est pourtant simple : salarier des médecins.

Si l’initiative peut paraître risquée d’un point de vue budgétaire, elle suscite l’adhésion unanime du conseil municipal. Avec le concours du médecin bientôt retraité, qui mettra d’ailleurs son cabinet à disposition, une procédure de recrutement est lancée au printemps 2015. Et le résultat est inattendu. Une dizaine de lettres de candidature parviennent sur le bureau du maire ! Tous les feux sont au vert et le cabinet médical peut ouvrir ses portes en septembre, avec deux médecins. Ils vont pourtant rapidement passer à l’orange. « Les débuts ont été un peu difficiles car nous avons dû faire face à un turn-over de médecins », reconnaît Jean-Jacques Videlo.

Quatre médecins en janvier

Le système se rode. La partie administrative est entièrement gérée par deux secrétaires médicales spécialement formées à la comptabilité publique et les médecins peuvent se concentrer uniquement sur leur métier. Et ça plaît. L’effectif se stabilise. Mieux, il se développe. Dès le début de l’année prochaine, la structure accueillera en effet un quatrième médecin. Avec plus de 4 000 patients, le cabinet rayonne bien au-delà des limites de la commune. « Il y a un vrai travail d’équipe entre les praticiens et les patients ont modifié leurs habitudes : ils ne sont plus attachés à un médecin mais à une structure », assure le maire. Côté finances, le déficit initial s’éloigne progressivement. Le budget est désormais équilibré et la toute nouvelle maison médicale sera inaugurée au début de l’année prochaine.

Le succès de ce projet, le premier en Bretagne, n’a bien évidemment pas manqué de susciter de l’intérêt. Et même davantage. En Centre Bretagne, les communes de La Chèze, de Rohan ou encore du Mené, ont aujourd’hui des médecins salariés.

 

Une unité de soins sans rendez-vous

Polyclinique de Kério
Polyclinique de Kério

Un service de consultations et de soins sans rendez-vous… C’est ce que propose désormais la polyclinique de Kério, à Noyal-Pontivy. Ouvert du lundi au vendredi, il permet d’accueillir les patients nécessitant une prise en charge ou des soins rapides.

Une entorse de la cheville, une brûlure, un problème digestif… Depuis l’automne dernier, l’unité de soins non programmés de la polyclinique de Kério, répond aux demandes de soins sans détresse vitale. « Nous devions quotidiennement faire face à l’arrivée de patients qui n’avaient pas de rendez-vous, explique Bertrand Desprets, directeur général de la polyclinique. Leur prise en charge perturbait forcément l’organisation des cabinets. » L’idée de créer un espace entièrement dédié s’est donc naturellement imposée. Installé au coeur de l’établissement, un espace de plus de 150 m², disposant d’un accueil paramédical, d’une salle d’attente et de trois box équipés avec du matériel médical permettant la prise en charge des soins non programmés dans des conditions optimales.

Des spécialistes sur place

Composée d’un médecin généraliste et d’infirmières, l’équipe médicale accueille les patients, du lundi au vendredi, sans rendez-vous. « Nous ne sommes pas un service d’urgence car nous ne prenons pas en charge les urgences vitales, assure Inès Beaujean, médecin généraliste. Nous travaillons d’ailleurs en collaboration avec le service des urgences de l’hôpital et cela peut permettre de le désengorger pour les petites traumatologies. »

Une complémentarité plus qu’une concurrence que les responsables de cette unité de soins non programmés souhaitent également nouer avec les médecins généralistes. « Notre service peut permettre, modestement, de pallier le manque de médecins généralistes, explique Inès Beaujean. D’ailleurs, la moitié de la trentaine de patients que nous accueillons quotidiennement, n’a pas de médecin traitant. »

Concrètement, l’unité de soins non programmés fonctionne comme un cabinet médical de ville. Sur place, les patients sont accueillis par une infirmière et peuvent voir très rapidement un médecin généraliste. Si des examens complémentaires sont nécessaires, l’unité de soins non programmés permet également de gagner du temps car le laboratoire et la radiologie se situent à côté du cabinet de consultation. Une proximité géographique avec la clinique qui permet de bénéficier d’un circuit court d’accès aux chirurgiens et aux spécialistes.

Véritable intermédiaire entre le rendez-vous de consultation pris dans un cabinet de ville et le service d’urgences, l’unité de soins non programmés a déjà fait la preuve de son utilité, moins d’un an après son lancement.

Pratique
Unité de soins non programmés à la polyclinique
de Kério, à Noyal-Pontivy.
Ouvert du lundi au vendredi de 8 h à 18 h.
Sans rendez-vous.
Tél. 02 97 28 30 60
site Internet: polyclinique-kerio.com.

 

Susciter des vocations

Première année de médecine à Pontivy

En septembre 2021, une trentaine d’étudiants du Centre Bretagne vont pouvoir suivre leur première année d’études de santé à Pontivy. Une délocalisation de la faculté de médecine de Rennes qui devrait permettre de susciter des vocations.

Jusqu’a présent cantonnées aux deux seules villes de Rennes et Brest, les facultés de médecine de Bretagne ont décidé de délocaliser leurs enseignements. C’est notamment le cas de la faculté de médecine de Rennes. Après Vannes et Saint-Brieuc l’an dernier, elle va en effet ouvrir deux nouveaux sites délocalisés à l’Institut de formation en soins infirmiers (Ifsi) de Pontivy et au centre hospitalier de Bretagne Sud, à Lorient, à la rentrée 2021.

Il y a quelques mois, le doyen de l’université, le professeur Éric Bellissant, est d’ailleurs venu présenter le projet à Pontivy. « Sur 1 300 inscrits en première année à Rennes, 900 sont originaires d’Ille-et-Vilaine, 220 du Morbihan et 180 des Côtes d’Armor. Notre objectif est de susciter de nouvelles vocations en créant ces sites qui permettront d’améliorer les conditions d’études et pourront réduire la charge financière des familles », a-t-il expliqué.

30 étudiants

Concrètement, à partir de l’année prochaine, une trentaine d’étudiants du Centre Bretagne vont pouvoir bénéficier du dispositif Parcours d’Accès Spécifique Santé (PASS), et suivre leur première année d’études de santé, dans les locaux de l’Ifsi de Pontivy. Comme s’ils étaient dans un amphithéâtre de l’université de Rennes, les étudiants du secteur souhaitant s’engager dans les professions de médecine, maïeutique, odontologie, pharmacie et kinésithérapie, suivront en direct et par visioconférence, les cours donnés sur le campus rennais. Ils bénéficieront par ailleurs d’un tutorat par des professionnels de santé du territoire. « Nous avons souhaité porter ce projet, car nous sommes persuadés que cela va inciter des étudiants du territoire à tenter des études de médecine sans aller à Rennes, explique Pascale Saint- Jalmes, directrice de l’Institut de formation en soins infirmiers. Il est nécessaire de diversifier les profils de recrutement et nous sommes persuadés que cela va créer de nouvelles vocations au sein du territoire. »

Afin d’attirer encore davantage les futurs étudiants du Centre Bretagne, les lycées Jeanne-d’Arc et Joseph-Loth à Pontivy, devraient proposer une préparation aux études de médecine, dès la terminale. Et si l’idée venait aux étudiants qui ont entamé leurs cursus sur leur territoire d’origine, de revenir pour s’y installer, une fois leurs études terminées… le pari serait assurément gagné.

 

Un camping car  sillonne le Centre Bretagne

Point Santé Mobile
Point Santé Mobile

Depuis l’automne dernier, un camping-car transformé en Point Santé Mobile sillonne le Centre Bretagne. De Merdrignac à Cléguérec, en passant par Rohan, il s’affirme comme un lieu d’accueil, d’écoute et de prévention en matière de soins.

« La solidarité en actions ». Inscrite sur les deux flancs du camping-car, la devise de l’association Adalea ne laisse guère planer le doute sur la nature de ses missions. Née à Saint-Brieuc, à la fin des années 70, l’association se définit en effet comme une association de solidarité qui intervient aussi bien dans le domaine du logement et de l’hébergement, que dans celui de la formation et de l’insertion.

Depuis quelques années, l’association a également mis en place des points santé, animés par des infirmières et des psychologues. Dans les permanences hebdomadaires de Loudéac et Pontivy, ils proposent un accueil, une écoute et un accompagnement des personnes rencontrant des difficultés liées à la santé.

Au plus près des patients

« Nous accueillons tous les publics mais notre action est d’abord dirigée vers les personnes en précarité, explique Marie- Élisabeth Diesnis, infirmière du point santé de l’association Adalea. Cela peut aller d’une aide à l’orientation vers un médecin traitant à l’accompagnement pour des démarches administratives. L’objectif est toujours de trouver des solutions pour que la personne retrouve son autonomie. »

Véritable instrument de veille sociale sur le territoire, cette structure a permis d’identifier l’importance des besoins dans le domaine médical. La précarité est de plus en plus importante dans les campagnes et les plus démunis le sont encore davantage dans le domaine de la santé.

Pour tenter d’y pallier, l’association a transformé un camping-car en Point Santé Mobile. Depuis l’automne dernier, il prend la route tous les 15 jours pour s’installer alternativement à Cléguérec, Rohan et Merdrignac.

« Nous allons au devant des personnes nécessiteuses pour leur faciliter l’accès aux soins », explique l’infirmière. Une démarche innovante, et gratuite, la première du genre en Bretagne.

En un peu moins d’un an, le travail effectué en partenariat avec les acteurs du territoire (médicaux, sociaux, associatifs), a déjà fait la preuve de son efficacité. « Nous avons un rôle de relais et de facilitateur, précise Marie-Élisabeth Diesnis. Nous en sommes toujours au stade expérimental mais à l’avenir, nous espérons pouvoir rayonner encore plus dans le monde rural. »

ADALEA
7, rue d’Iéna – Pontivy
Le lundi et le vendredi
de 9 h à 12 h 30
et de 13 h 30 à 17 h.
02 97 39 67 74
1, rue de La Chesnaie – Loudéac
02 96 28 04 35
Le jeudi de 9 h à 12 h 30
et de 13 h 30 à 17 h.

 

Tribune libre

« La coordination, étape essentielle de la lutte contre la désertification médicale »

Christian MOTREFF
Christian MOTREFF, médecin retraité, adjoint à la mairie de Neulliac, membre de la commission en charge de la santé à Pontivy-Communauté

Neulliac, environ 1 500 habitants, situé à 7 km au nord de Pontivy, avec son médecin installé depuis 1984, une pharmacie, un kinésithérapeute, des infirmiers/ères libéraux regroupés sur deux sites et, pour compléter cette offre de soins généreuse, un domicile partagé. Et puis le départ à la retraite du médecin, en janvier 2019, sans remplaçant, mettant en difficulté la pharmacie dont l’avenir est actuellement fortement compromis. Alors, les questions pleuvent : Pourquoi le médecin n’a pas trouvé de remplaçant ? Pourquoi l’État n’a pas anticipé tous ces départs ? Pourquoi le Parlement n’a pas légiféré sur l’installation des médecins ? Pourquoi les organismes professionnels défendent la liberté d’installation ? Et que font les élus locaux ? Intéressons-nous à cette dernière question : que font les élus locaux ? Reprenons l’exemple de Neulliac. Le conseil municipal a pris la décision, d’une part de se faire accompagner par un cabinet spécialisé pour le recrutement d’un médecin, d’autre part de transformer un ancien presbytère en cabinet médical afin d’accueillir ce médecin dans les meilleures conditions possibles. Utopie ? De l’argent public jeté par les fenêtres ? Peut-être, mais ces décisions relèvent d’un constat évident, limpide : sans proposition concrète, rien ne se passera, sauf à conforter cette dégradation de l’offre de soins.

Toutes les communes du Centre Bretagne qui possèdent ou possédaient une offre de soins ont dû chercher des solutions (maison médicale publique ou privée, centre de santé avec médecins salariés…) pour pallier cette désertification, avec souvent, pour ne pas dire toujours, l’aide et l’aval des professionnels en place, mais parfois aussi l’incompréhension de certains élus et/ou professionnels de santé. Ce qui a caractérisé toutes ces initiatives, et c’est d’ailleurs le cas de Neulliac, c’est leur isolement dans la démarche, l’absence de coordination de l’offre de soins à l’échelle territoriale. Ce qui a manqué, c’est l’élaboration d’un projet global en termes de recrutement, d’attractivité du territoire, en particulier vis à vis des internes et des jeunes remplaçants, et surtout d’organisation d’une offre de soins optimale et transparente aux yeux des nouveaux praticiens. Ce qui a caractérisé toutes ces initiatives, c’est aussi l’absence de perspectives dans l’avenir de l’offre de soins actuelle : rien n’est acquis, tout peut s’effondrer, n’importe quand, n’importe où.

Tout l’enjeu des nouvelles mandatures municipales et communautaires, c’est justement d’abandonner le mode « chacun pour soi » au profit d’une coordination des actions permettant de pallier cette désertification médicale. Cette coordination doit être centralisée, c’est peut-être le rôle de la communauté de communes, elle doit être accompagnée, c’est le rôle des tutelles (ARS, CPAM…), elle doit impliquer tous les professionnels de santé du territoire. Tout ce qui a déjà été fait doit être analysé, décortiqué, sans tabous, sans langue de bois, puis reproduit lorsque le bilan est positif. Nous n’avons plus les moyens d’attendre, nous n’avons plus les moyens de décevoir nos concitoyens.

Revenons à Neulliac : ce n’est pas une utopie que de construire un cabinet médical, c’est un pari sur l’avenir, sur la nécessaire intégration de ce cabinet dans une maison de santé multisite, sans préjuger du mode d’exercice, libéral ou salarié ; c’est tout le mal que nous nous souhaitons.