Partie intégrante du patrimoine culinaire breton, le poiré se faisait historiquement en famille, au même titre que le cidre. La tradition s’est perdue, mais d’irréductibles producteurs ont repris le flambeau.
Au lieu-dit Ker Anna, sur la commune de Plumieux, ça sent bon la poire. « On a un patrimoine pyricole remarquable », se réjouit Christian Moisan, derrière ses lunettes. Ancien éleveur, il fabrique du poiré sur le domaine familial. Le Costarmoricain de 67 ans est intarissable sur les variétés de poires ! Il est tombé dedans tout petit.
Issu de la troisième génération d’éleveurs des Moisan, Christian a toujours connu le verger de la ferme qui avait été crée sur des landes en 1860 par le Vicomte de Roquefeuille. Alors, lorsqu’il a été question de faire revivre le poiré de Ker Anna, avec son père, Christian Moisan a planté de jeunes poiriers il y a une vingtaine d’années. Ils étaient tous greffés à partir de vénérables. Depuis, un nouveau verger est né, avec à son actif une centaine d’arbres.
Aujourd’hui il récolte ce qu’il a planté, et maintien un patrimoine local. « Les gens faisaient du cidre et du poiré, relate le passionné. Mais le poiré est plus élaboré car la fermentation est plus difficile et très rapide, elle demande une grande maîtrise. » Dans certaines régions, on fabriquait du poiré de batterie avec les variétés précoces. Généralement, cette boisson était vite consommée car, trop sèche, elle perdait ses arômes.
Une boisson nerveuse
« Avant la guerre, mon père faisait un poiré bouché.» De ce nectar aromatique reconnaissable par son effervescence, Christian Moisan n’a pas toujours détenu tous les secrets. Il s’est d’abord renseigné auprès du lycée agricole de Caulnes qui réalisait du poiré, grâce à un verger de conservatoire. Avec l’Iinstitut français des productions cidricoles (IFPC), il a travaillé à l’élaboration du produit, afin d’en acquérir la maîtrise.
« Le poiré c’est nerveux, détaille le spécialiste. Le lundi on a une fermentation, le vendredi la boisson peut être compromise. Cela peut-être très brutal. »
Sa technique repose sur des méthodes de vinification. À une époque, on disait que le poiré s’apparentait au champagne. Mais chut, il ne faudrait pas vexer les Champenois, surtout que l’appellation est contrôlée. Mieux vaut parler d’un vin de poire effervescent alcoolisé à hauteur de 3-4 %.
« Top pour les cocktails ou les mariages. C’est une boisson festive très désaltérante quand il fait chaud. Elle s’accorde très bien avec l’apéritif ou le dessert », argumente Christian sous sa casquette de vendeur.
Il vante la finesse et la richesse aromatique du fruit. Les poires commencent à tomber fin août jusqu’à décembre, voire janvier pour des variétés tardives. « Cette année c’était précoce, remarque le producteur. Il faut des poires dures pour le poiré, afin de sortir du jus. Si on prend des poires à manger comme les conférences, on se retrouvera avec de la bouillie. »
Pour le poiré, il faut des poires à poiré… tout simplement. Les variétés de ce fruits sont nombreuses et Christian pourrait certainement en écrire une encyclopédie. Il passe une grande partie de son temps à repérer les vieux poiriers en Bretagne. Ces grands arbres qui peuvent vivre jusqu’à 400 ans, disparaissent et sont balayés par des tempêtes.
Arrivé par la route de la soie
« On dit que le poirier met 100 ans pour grandir, 100 ans pour produire, et 100 ans pour mourir, explique cet historien de la poire. Nos poiriers à l’exception d’une variété endémique proviennent probablement d’Asie mineure, introduites par la route de la soie avec les Romains et les Croisés. Et toutes ces variétés se sont hybridées. »
À l’affût de goûts inconnus, Christian Moisan sillonne la Bretagne et s’arrête lorsqu’il aperçoit un poirier à poiré. Il le recense, en prélève les fruits et fait analyser sa teneur en acidité et en sucre. « Il existe des variétés très intéressantes en Bretagne et il en reste encore à découvrir, souligne-t-il. Les vieux poiriers sont souvent des arbres greffés, ces vieilles variétés qui, miraculeusement, sont encore là de nos jours, sont issues de sélection et d’hybridation depuis le Moyen-Âge. Malheureusement ce vieux patrimoine génétique breton méconnu disparait dans l’indifférence. » Lorsque les tests sont concluants, Christian, qui a appris à greffer et dispose d’une pépinière, emporte un bout de l’arbre avec lui.
Un patrimoine à transmettre
Si les poiriers ont une belle durée de vie, la poire en revanche pourrit très vite et se conserve mal. Aussi, le laps de temps entre la récolte et la production est court. Il faut une tonne de poires qui peut d’ailleurs provenir d’un seul arbre, pour sortir 500 bouteilles.
Quand on aime, on ne compte pas. Christian a tout appris du poiré et il le fait de A à Z. « Le poiré est une affaire de famille, aussi bien pour le ramassage des poires avec mon frère que pour la vente. J’interviens surtout sur les marchés de Noël. Par contre, si demain quelqu’un veut se lancer dans l’aventure, j’ai le savoir et le matériel. Je peux le conseiller et l’accompagner, je suis prêt. »
La capitale de la poire ?
Cléguerec revendique le titre de capitale du cidre de poire. La vierge à la poire de la chapelle Saint-André et de Sainte-Anne sur la commune de Cléguérec près de Pontivy, témoigne de l’importance que représentait le poiré au XVe siècle. On parle d’ailleurs du pays de Christ’per, qui en breton signifie poiré.
Pratique
Poiré de Keranna, à Plumieux. Tel : 02 96 25 46 50
Mail : contact@poiredekeranna.bzh
Tarif : 7,50 € la bouteille. Petite production de 2500 – 3000 bouteilles par an. En vente à Loudéac à la boucherie des Quatre saisons, à Mûr-de-Bretagne à la crêperie de Guerlédan ou sur le site internet : http://poiredekeranna.bzh