Le Centre Bretagne est la dernière région de France à être électrifiée. Jérôme Lucas a recueilli les souvenirs d’anciens du territoire et effectué des recherches dans les archives départementales du Morbihan et des Côtes d’Armor. Il en a tiré un livre : « La fée électricité entre dans les campagnes bretonnes ». Pour le magazine Ici et Là, il retrace en trois volets, l’arrivée de cette innovation technologique dans notre région. Première partie : le plan d’électrification de la Bretagne dans l’entre-deux guerres.

Les prémices de l’électrification en Bretagne

À la fin du XIXe, des usines hydroélectriques voient le jour, grâce à l’initiative de sociétés privées. Apparaissent aussi des usines thermiques. Le moteur à gaz pauvre fonctionne à partir de la combustion de charbon. L’usine de Loudéac est mise en service le 22 mars 1908. Elle possédait deux moteurs de 30 cv. Jean a 15 ans quand il y est embauché comme apprenti. « On produisait du courant continu. Quand on prenait une châtaigne,
ça dérouillait ! Nous faisions aussi les installations électriques chez les clients. L’usine pouvait alimenter les moteurs électriques des boulangers et d’un ou deux menuisiers. »
D’ingénieux bricoleurs créent de petites usines hydroélectriques. Au début des années 1910, M. Piquet crée une petite usine hydroélectrique près de l’écluse de Guerlédan. L’unité
alimente un atelier de menuiserie et éclaire la maison éclusière, une ferme et la résidence de M. Bouché, banquier à Pontivy. Puis Piquet entreprend un projet à l’écluse de Lestitut, à
Pontivy, qui le mène à la faillite.

À Plouguenast en 1900, Pierre et Mathurin Mounier, serrurier et forgeron, se rendent à l’exposition universelle à Paris. Au stand de l’électricité, ils découvrent la dynamo. Les deux hommes repartent en Bretagne emballés par cet appareil, ils louent un moulin et achètent une dynamo. La vieille roue à aube est refaite, le bief élargi. Les bricoleurs réussissent à allumer une ampoule installée dans le haut du bourg ! Un courageux demande l’installation d’une lampe chez lui. Et petit à petit, d’autres suivent. Cette usine a fonctionné 30 ans, jusqu’à l’arrivée de la Cie Lebon qui marqua la fin de son activité. Les frères Mounier ne furent pas indemnisés. Pierre refusa de prendre un branchement à la compagnie Lebon et s’éclaira jusqu’à sa mort à la bougie. Au début des années 1920, les ingénieurs des ponts et chaussées estiment que ces petites usines sont appelées à disparaître : pas assez performantes. Les départements sollicitent des sociétés pour l’électrification.

Le plan d’électrification : 1920-1930

Le ministre des Travaux publics, Yves Le Trocquer, défend l’importance de l’énergie électrique pour le développement de la France rurale : « Il faut améliorer le cadre de vie et le développement économique de la campagne, pour lutter contre l’exode rural. »

Yves Le Trocquer, ministre des Travaux publics.

Or, en Bretagne l’habitat des campagnes étant dispersé, les frais d’établissement des lignes sont élevés, tout comme les charges d’exploitation de tels réseaux. De plus, les pertes d’électricité sont considérables le long des lignes et dans les postes de transformation. On comprend l’aberration financière d’une telle entreprise pour une société privée. C’est donc un véritable défi que s’apprêtent à relever les collectivités bretonnes.

On se met à la recherche de nouvelles productions électriques! Pour développer l’électrification, les pouvoirs publics sont en quête de moyens de production permettant à la Bretagne d’acquérir son autonomie énergétique.

Les ingénieurs proposent plusieurs  projets, le premier retenu est l’usine hydroélectrique à Guerlédan initié par l’ingénieur Leson, soutenu par le sous-préfet de Pontivy, M. Ratier. L’ouverture du chantier de Guerlédan a lieu en 1923, il s’achève en 1930. D’autres usines hydroélectriques voient le jour.

La première phase d’électrification peut donc se mettre en place à la fin des années 1920. Des syndicats de communes se constituent pour bénéficier de l’intervention financière de l’État et de prêts à taux réduit. Les communes prélèvent sur leurs fonds libres et lèvent parfois l’emprunt auprès de la population. On commence par l’électrification des bourgs :  plus d’abonnés potentiels, donc plus rentable. Des artisans, mécaniciens ou maréchaux-ferrants, s’improvisent électriciens. Mais les habitants sont très frileux. Les conseils  généraux établissent un plan de propagande pour développer l’électrification et des fermes pilotes sont mises en place pour montrer les bienfaits de l’électricité. Les anciens se souviennent : « Des marchands de peur disaient : Surtout ne mettez pas l’électricité, vous allez tous mourir carbonisés ! Ça va attirer la foudre ! » Bon nombre d’élus mesurent l’intérêt de l’électrification pour le développement de leur commune. Mais survient la guerre 1939-1945…

Comment vivait-on sans l’électricité ?

«Nous n’étions pas loin du Moyen Age», dit un témoin. Jusque dans les années 1950, l’habitat rural est composé d’une pièce unique au sol en terre battue. On se chauffe à la cheminée. On s’éclaire à la lampe à pétrole ou à carbure, qu’on utilise avec modération. On fait sa toilette dans une cuvette. L’eau est tirée au puits ou à la fontaine. Le linge est lavé   au lavoir, ou dans un ruisseau. On se chauffe et on cuisine au bois. Les vaches sont gardées par les enfants. La force motrice des outils de la ferme est l’huile de bras.