La Bretagne est la dernière région de France a avoir été électrifiée. Jérôme Lucas a recueilli les souvenirs d’anciens du Centre Bretagne et effectué des recherches dans les archives départementales du Morbihan et des Côtes d’Armor. Il en a tiré un livre : « La fée électricité entre dans les campagnes bretonnes». Pour le magazine Ici et Là, il retrace en trois volets, l’arrivée de cette innovation technologique dans notre région. Seconde partie : la guerre 39-45, l’Occupation et les restrictions.
Dans le numéro précédent, le passeur de mémoire évoquait les prémices de l’électrification en Bretagne et le plan d’électrification qui vit le jour dans les années 1920 à l’initiative des conseils généraux soutenus par l’État et les communes qui se regroupèrent en syndicat. Ce plan s’appuie sur les compétences et les moyens de sociétés privées, dont la Compagnie Le Bon… Les usines hydroélectriques sont construites sur différents cours d’eau durant les années 1920, elles alimentent le réseau qui se développe. On électrifie en premier lieu les bourgs, la densité de population offre une meilleure rentabilité de l’investissement. Quelques communes électrifient aussi les hameaux dispersés dans la campagne. Cependant, les opérateurs se trouvent parfois confrontés au refus des habitants de prendre un abonnement. Ils craignent de ne pas pouvoir faire face à la dépense. La déclaration de la guerre, en septembre 1939, et la mobilisation générale interrompent les travaux d’électrification alors que moins d’un Breton sur deux bénéficie de la fée électricité. S’ouvre une période difficile, la population subit des restrictions en tous genres. La vente des produits est contingentée: l’alimentation, l’habillement et différentes fournitures. Ceux qui ont refusé le branchement électrique vont vite regretter.
« On avait droit à tant de litres de pétrole par an. Dès qu’on avait un peu de beurre, on allait le porter chez l’épicier pour avoir plus de pétrole pour nous éclairer. Il fallait faire la queue dans la rue. » Mais le pétrole vient à manquer. « Alors on s’éclairait avec un bon feu dans la cheminée, il fallait bien économiser le peu de carburant dont on disposait. On fabriquait des lampes archaïques en coulant de la graisse dans une boîte de sardines, par exemple. Et on y trempait une mèche. On creusait un rutabaga et on y fondait du saindoux en mettant un bout de chiffon en guise de mèche. Et voilà notre chandelle ! Ça pétillait et projetait de la graisse partout, même sur les cahiers d’écoliers. On fabriquait des bougies avec du suif aussi, le tube d’une pompe à vélo servait de moule… ».
Des idées ingénieuses
Des idées ingénieuses jaillissent. Ici on installe une ampoule électrique alimentée par une batterie qu’on fait recharger au garage du bourg ; là on raccorde le manège à chevaux à une dynamo, et on le fait tourner pour recharger les batteries. Lors d’un bal clandestin, les jeunes ont l’idée de mettre un vélo à l’envers, posé sur une table, la dynamo est reliée à une ampoule fixée au plafond. Les danseurs se relaient pour tourner la pédale.
Et surtout, de petites unités électriques voient le jour dans la campagne. « On choisissait un bon ruisseau. Le charron fabriquait une roue, les hommes creusaient un bief de façon à remonter le niveau du cours d’eau pour former une chute. Ou alors on creusait une réserve d’eau. La roue entraînait une dynamo ou génératrice. Avec ça, on éclairait trois ou quatre maisons. »
Des éoliennes sont aussi installées pendant la guerre. Elles sont fabriquées par le Quimpérois, Pierre Gane, pionnier de l’électricité éolienne en Bretagne. Enfin, des habitants procèdent à l’extension de lignes à travers la campagne, à partir d’un compteur installé dans le bourg. On abat des sapins pour faire des poteaux, et les jeunes y grimpent. Les bénéficiaires de ces lignes se répartissent les charges de consommation d’électricité.
Bombardement de Guerlédan
Mais les coupures de courant sont nombreuses durant l’Occupation. L’armée allemande se réserve l’énergie électrique pour alimenter la base sous-marine de Lorient, notamment. Et, pour porter préjudice aux ennemis, les résistants procèdent à des sabotages. Guerlédan devient un lieu stratégique. L’occupant met en place un dispositif de défense autour du barrage, il construit des fortifications en réquisitionnant la main d’oeuvre locale. Malgré ces moyens de défense, l’aviation alliée attaque à plusieurs reprises Guerlédan en 1943, non pas le barrage, mais le transformateur et l’usine. Le 11 mars 1943, le bombardement fait quatre blessés graves. Mathurin Auffret, un ouvrier de 50 ans, meurt de ses blessures. Lorsque les cloches de l’armistice sonnent dans chaque village, les habitants soulagés font la fête, espèrent le retour prochain de leurs prisonniers de guerre et après ces années sombres, dans les campagnes on attend la lumière dans les logis. Mais de gros travaux seront encore nécessaires pour achever l’électrification, ils s’échelonneront sur les deux décennies à venir.
Les campagnes bretonnes sont parmi les dernières en France à bénéficier de la fée électricité, le programme d’électrification ne s’achève qu’en 1964.
L’arrivée de l’électricité dans une maison fait partie des choses qui changent la vie
radicalement. Des habitants racontent comment ils vivaient sans électricité et confient
leurs souvenirs sur ce qui fut un des grands bouleversements de leur vie.
Le livre évoque aussi le parcours d’ingénieux bricoleurs qui créent de petites centrales électriques, le parcours d’artisans qui s’improvisent électriciens et les péripéties de l’ingénieur constructeur du barrage de Guerlédan et son usine hydroélectrique.
Jérome Lucas. Éditions Récits. Prix : 15 €.
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