La Bretagne est la dernière région de France à avoir été électrifiée. Jérôme Lucas a recueilli les souvenirs d’anciens du Centre Bretagne et effectué des recherches dans les archives départementales du Morbihan et des Côtes d’Armor. Il en a tiré un livre : « La fée électricité entre dans les campagnes bretonnes ». Pour le magazine Ici et Là, il retrace en trois volets, l’arrivée de cette innovation technologique dans notre région. Troisième et dernière partie : l’après guerre.
Dans les numéros précédents, le passeur de mémoire évoquait les prémices de l’électrification en Bretagne, le plan d’électrification qui vit le jour dans les années 1920 et sa mise en oeuvre interrompue par la Seconde Guerre mondiale. Les années d’après-guerre, les temps sont encore durs. Les villes détruites sont à reconstruire et une grande partie des campagnes reste à « moderniser ».

Le 8 avril 1946, la loi de nationalisation des entreprises françaises de production, transport et distribution d’électricité donne naissance à Électricité de France : EDF. La Bretagne accuse un retard considérable dans l’électrification des campagnes. Dans le Morbihan seulement 52 % des logements des communes de moins de 2 000 habitants ont l’électricité, dans les Côtes-du-Nord 55 % ; tandis que 90 % des logements ruraux de l’est de la France sont alimentés.
Il faudra attendre le début des années 1950 pour pouvoir engager des moyens importants dans l’électrification de nos campagnes. Les syndicats intercommunaux sont à pied d’oeuvre. Ils cherchent des financements pour entreprendre des opérations hors des programmes de l’État, de façon à avancer plus vite. L’entreprise Garczinski et Traploir met en place une grande partie des lignes du Centre Bretagne des années 1950. Elle crée des fabriques de poteaux dans différentes communes, à proximité d’une gare, pour en faciliter le transport. Dans chaque commune, on établit des quartiers regroupant plusieurs villages comptant 25 à 30 foyers. Chaque quartier est doté d’un poste de transformation.

Et la lumière vient !
Dans les années 1950, personne ne refusait l’électricité, même les plus modestes. « Depuis le temps qu’on attendait. » Le métier d’électricien se développe… « C’est enfin à notre tour ! » Des ruraux vivent cette installation comme un rétablissement de leur droit de citoyens. « Ça y est, je suis en France, je peux enfin écouter la radio chez moi », déclare un père de famille.
Parfois, c’est même l’explosion de joie ! « Quand on a eu l’électricité, on aurait bien porté l’électricien, dans nos bras ! Tellement on était excités. Quel bonheur d’avoir l’électricité ! C’était la fête. Vous vous rendez compte, on avait la lumière électrique. On n’en croyait pas nos yeux ! C’était une joie, un soulagement aussi. Quelle avancée. On appréciait la commodité, il n’y avait qu’à appuyer sur le bouton et on avait de la lumière. C’était un sacré progrès ! » Des fêtes de la lumière sont organisées dans chaque quartier. Les habitants mettent un honneur à décorer le poste de transformation devenu l’équipement emblématique
Les élus, les personnalités locales et le curé inaugurent le transformateur. À la maison, on a un autre regard sur son environnement. « On ne se reconnaissait plus. L’inconvénient, c’était tellement bien éclairé qu’on voyait la saleté et des toiles d’araignée partout. » Bien souvent, on achète une radio. « Grâce au poste, nous sortions de notre milieu fermé. La radio nous donnait accès à un espace de liberté, de discussion, de contradiction aussi, et surtout de découverte. » Mais on ne fait pas de folie : une ampoule par pièce. « Et il fallait faire attention de ne pas laisser une lumière allumée. Et si on allumait trop tôt la lumière, on s’entendait dire : Éteins don ! Tu vas brûler le jour. »

Les moteurs électriques soulagent les artisans et les paysans, tout comme la clôture électrique, la machine à traire. À la maison, les premiers équipements électroménagers apportent du bien être. Des habitants installent une pompe électrique sur le puits. La ménagère est soulagée grâce à la machine à laver. L’électrification des campagnes bretonnes s’achève en 1964. En moins de deux décennies, la Bretagne rurale s’est ouverte à la modernité. Grâce aux équipements électriques, la vie des habitants s’est améliorée, réduisant les différences entre les catégories sociales au sein même de la société rurale, et la fracture entre les citadins et les campagnards.
Les campagnes bretonnes sont parmi les dernières en France à bénéficier de la fée électricité, le programme d’électrification ne s’achève qu’en 1964. L’arrivée de l’électricité dans une maison fait partie des choses qui changent la vie radicalement. Des habitants racontent comment ils vivaient sans électricité et confient leurs souvenirs sur ce qui fut un des grands bouleversements de leur vie. Le livre évoque aussi le parcours d’ingénieux bricoleurs qui créent de petites centrales électriques, le parcours d’artisans qui s’improvisent électriciens et les péripéties de l’ingénieur constructeur du barrage de Guerlédan et son usine hydroélectrique. Jérome Lucas. Éditions Récits. Prix : 15 €. www.vosrecits.com