Depuis plus d’un siècle, une troupe d’amateurs de Loudéac investit chaque année la scène pour interpréter un drame liturgique : la passion de Christ. D’abord destiné à un public de tradition catholique, la troupe souhaite aujourd’hui l’inscrire comme un véritable élément du patrimoine commun.
Le rideau s’ouvre sur la scène du palais des congrès de Loudéac. Au milieu d’une foule bruyante et colorée, Jésus fait son entrée dans Jérusalem. Immédiatement impressionné par un décor grandiose, le public va pouvoir suivre, pendant un peu plus de 2 h 30, une interprétation théâtrale des derniers jours de la vie du Christ. Unique en Bretagne, ce spectacle est rejoué chaque année aux alentours de Pâques, depuis maintenant plus d’un siècle. Depuis 1914, très exactement.
Au début du XXe siècle, Loudéac est encore un gros bourg rural et la vie quotidienne est fortement imprégnée par le catholicisme. L’église souhaite encadrer les activités sportives et culturelles de la jeunesse : c’est le temps des patronages. Celui de Loudéac, Saint-Maurice, voit le jour en 1910. Rapidement, une troupe de théâtre est créée et les représentations se succèdent. Vicaire de la paroisse depuis près de 15 ans, mais également directeur du patronage, l’abbé Robin peut alors s’appuyer sur un noyau d’acteurs amateurs mais déjà confirmés, pour lancer un spectacle qu’il a longuement mûri et préparé. La première est jouée le 29 mars 1914, dans la salle du « patro », rue de La Chèze. Le succès est immédiat.
Dommages de guerre
La Première guerre mondiale va évidemment interrompre ce projet naissant. Il ne reprendra qu’en 1923. Deux décennies plus tard, la Seconde Guerre mondiale obligera une nouvelle fois la troupe à suspendre les représentations. Mais cette fois l’interruption sera beaucoup plus brève. La salle du patronage (actuelle salle de basket de l’Étoile Sportive Saint-Maurice), a beau être réquisitionnée par l’occupant, une solution alternative est trouvée dès 1942. La troupe investit en effet la scène du foyer municipal. Les conditions sont spartiates et les spectateurs doivent souvent prendre les chaises de l’église après l’office, pour assister plus confortablement au spectacle. Surtout, les décors ayant été détruits, il est interprété dans la sobriété de décors monochromes. Il faudra attendre 1956 et l’obtention de dommages de guerre pour permettre à l’association de revisiter entièrement les décors, les costumes, l’éclairage et la sonorisation.
Depuis 1989, c’est désormais au palais des congrès et de la culture qu’est interprétée chaque année la passion du Christ. Et il a bien fallu s’adapter à une scène quatre fois plus grande que la précédente. Les décors ont été entièrement refaits et les organisateurs ont su profiter des évolutions technologiques dans le domaine du son ou de l’éclairage.
Patrimoine immatériel de l’humanité
Une chose en revanche n’a pas, ou peu, changé depuis l’origine : le texte. Écrit à partir des Évangiles par l’abbé Robin, la passion (terme dérivé du grec pascho, signifiant «souffrir»), retrace les derniers jours de la vie de Jésus, de son entrée triomphale dans Jérusalem à sa mort sur la croix. « Même si les différents metteurs en scène ont parfois retiré ou rajouté des choses, nous sommes restés fidèles au texte initial dont nous possédons d’ailleurs l’original, annoté par l’abbé Robin », explique Yves Feuvrier, qui préside l’association depuis 1981.
Une fidélité qui se retrouve également au cœur d’une troupe qui évolue depuis plus d’un siècle comme une véritable famille et compte aujourd’hui 250 personnes, dont plus de 160 acteurs. De génération en génération, ils sont ainsi nombreux à avoir interprété une multitude de rôles. « Lors des répétitions qui débutent deux mois avant les représentations, c’est d’ailleurs le plus souvent les anciens qui forment leurs remplaçants », se réjouit le président. Et ça marche puisque chaque année, les quatre représentations inscrites au programme attirent près de 2 500 spectateurs.
Pendant longtemps pourtant, l’association a axé sa communication en direction du public catholique. Aujourd’hui, la volonté d’ouverture pour attirer également un public plus laïc est clairement affichée. « Certes, c’est un spectacle religieux, reconnaît Michel Hinault, l’historien de la passion. Mais c’est également un élément de notre patrimoine commun. » Un patrimoine que les bénévoles loudéaciens s’attachent d’ailleurs à faire connaître au-delà des frontières à travers l’association de l’Europassion, qui vient tout juste de fêter son 30e anniversaire. Du Portugal à la Finlande et de la Belgique à la Roumanie, elle regroupe aujourd’hui plus d’une centaine de troupes, à travers l’Europe. Et toutes caressent un même rêve ! Celui de voir un jour inscrit ce spectacle « le plus vu au monde », au patrimoine immatériel de l’Unesco. Un challenge à la hauteur de la passion de Loudéac qui entame tout juste son second centenaire.
+ d’infos sur www.passionbretagne.com