Construite au début du XIXe siècle pour acheminer l’eau du barrage de Bosméléac jusqu’au canal de Nantes à Brest, la rigole d’Hilvern n’assure plus sa mission hydraulique, depuis plusieurs décennies. Elle retrouve aujourd’hui une seconde vie en développant une activité touristique.
Lorsqu’au début du XIXe siècle, Napoléon Ier décide la construction d’un canal reliant Nantes à Brest, les ingénieurs sont immédiatement confrontés à une difficulté majeure : comment franchir les reliefs qui séparent les fleuves et les rivières qu’empruntera successivement le canal. C’est notamment le cas pour le canal de jonction qui doit être réalisé entre l’Oust et le Blavet, entre Rohan et Pontivy.
Dès 1804, Bouessel, ingénieur des Ponts et Chaussées propose un tracé pour ce canal artificiel qui permettra de joindre les deux rivières. Mais l’Empire a alors d’autres préoccupations et il faudra attendre le début des années 1820 pour que l’entreprise soit relancée.
Le projet est finalement réactivé au printemps 1824, et c’est l’ingénieur en chef Lenglier qui va être chargé du chantier. Une fois fixé l’emplacement du bief de partage à Hilvern, il doit résoudre l’épineux problème de son alimentation en eau. « Il faut en effet trouver puis amener sur place l’eau nécessaire au fonctionnement des écluses de part et d’autre du bief (24 écluses en amont de Rohan et 29 pour rejoindre le Blavet à Pontivy) et permettre aux bateaux de franchir cette portion du canal. »(1)
C’est de cette nécessité que va naître la rigole d’Hilvern.
Un parcours sinueux de 64 km
Pour l’alimentation en eau, un barrage est d’abord construit sur l’Oust, à Bosméléac. Si au départ, le tracé de la rigole flirte avec le cours accidenté de cette rivière, il s’en sépare ensuite lorsque la vallée s’évase. De méandre en méandre, la rigole va en effet emprunter un parcours sinueux et long de 64 km : 47 km dans les Côtes d’Armor et 17 km dans le Morbihan. Et ce n’est pas une fantaisie du concepteur ! Du barrage de Bosméléac qui affiche une altitude de 149 m, au bief d’Hilvern, située à 133 m, la rigole doit respecter une pente constante de 0,3 millimètres par mètre… Large de 1,20 m à la base et d’environ quatre mètres au sommet, elle a une profondeur qui oscille en 0,70 m et un peu plus d’un mètre.
Le tracé de la rigole a beau être arrêté sur le papier, reste à convaincre les propriétaires des terres sur laquelle elle doit passer.
« Allez expliquer au citoyen paysan, la loi du 8 mars 1810 sur les expropriations, quand on sait qu’il a enfermé ses horizons dans son petit lopin de terre labouré et entouré ses pâtures de haies et talus. Et comment lui faire comprendre celle du 14 août 1822, sur l’utilité publique de l’achèvement des canaux, quand il a, lui, d’autres convictions comme l’inviolabilité de son droit de propriété, hérité de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 ? » (2)
Discussions et négociations autour du montant des indemnités vont s’éterniser durant plusieurs années. L’interminable procédure n’aboutit finalement qu’au printemps 1833 et on peut alors procéder aux adjudications. Les soumissionnaires retenus pour les différents lots n’ont pas de mal à embaucher pour la réalisation des travaux. Si florissante aux siècles précédents, la manufacture des toiles dites « Bretagne », vient de s’effondrer pour n’avoir pas su se moderniser. Tisserands, filandières, blanchisseurs et marchands, vont donc trouver dans ce chantier une occasion de reconversion.
Composé d’hommes, de femmes et même d’enfants, cette main-d’oeuvre non qualifiée mais abondante est sous-payée. « Le salaire variait de deux francs à 70 centimes pour une durée quotidienne de travail dépassant les dix heures. » Au total, près de 600 personnes vont travailler sur ce chantier pendant plus de quatre années.
Début des travaux en 1834
Les travaux de creusement de la rigole commencent au printemps 1834. « Malgré les conflits multiples avec les riverains, le chantier avance rapidement et, à la fin de l’hiver 1836, vient le moment tant attendu : on entreprit de lâcher l’eau dans la rigole pour juger de l’efficacité du travail réalisé, raconte Kader Benferhat. Hélas ! Toute l’eau déferla dans la vallée à travers champs… L’ingénieur avait commis une erreur lourde de conséquences en choisissant d’étanchéifier le lit de la rigole avec de la terre végétale. » Des travaux consistant à enduire les parois de la rigole d’un corroi d’argile pour éviter les infiltrations vont être entrepris. Ils ne s’achèveront qu’à l’été 1838… Quatre ans avant que le canal ne soit totalement ouvert à la navigation.
La rigole d’Hilvern va remplir ses fonctions hydrauliques pendant près d’un siècle. Mais la guerre 14-18 d’abord, puis la construction du barrage de Guerlédan qui rend impossible la navigation de Nantes à Brest à partir de 1928, vont définitivement condamner la batellerie bretonne. La rigole d’Hilvern n’a désormais plus de raison d’être. Peu à peu, faute d’entretien, elle s’envase, ses berges et sont lit abandonnés sont envahis d’une végétation destructrice.
Il faudra attendre le début des années 80 pour que la mobilisation de quelques-uns aboutisse finalement à la création d’une association pour la sauvegarde de la rigole d’Hilvern (Page 20). Entre campagnes de sensibilisation, mobilisation des collectivités et des bénévoles, ils ne se sont pas résignés à voir dépérir ce ruban vert qui sillonne la campagne du Centre Bretagne. Et ils ont en partie réussi leur pari. Certes la rigole n’a pas retrouvé son utilité hydraulique, mais elle peut aujourd’hui s’engager dans une seconde vie en développant ses attraits touristiques…
(1) La Rigole d’Hilvern. Ar Men n° 53. 1993.
(2) Le canal de Nantes à Brest. Kader Benferhat – Sandra Aubert. Éditions Ouest-France. 1999.
Rigole d’Hilvern : la naissance d’une voie verte
Le tourisme n’était pas sa vocation. Ce sera sans doute sa destination ! Programmés pour cet hiver, la fin des travaux d’aménagement de la rigole devrait définitivement l’inscrire dans le patrimoine du Centre Bretagne.
Abandonnée par manque d’utilité, la rigole d’Hilvern s’était, au fil des années, lentement transformée en un fossé asséché. Sans la volonté de quelques hommes bien décidés à refuser ce déclin, elle aurait pu ne jamais renaître ! Au début des années 80 pourtant, elle débouche sur la création de l’association de sauvegarde de la rigole d’Hilvern. Autour de Michel Kerfanto, maire de Saint-Gonnery, d’André Glon, maire d’Hémonstoir, et de Kader Benferhat, la mobilisation s’organise. Une efficace campagne de sensibilisation va rapidement convaincre les collectivités locales et territoriales d’œuvrer pour la sauvegarde de ce patrimoine commun.
Dès 1985, des travaux sont engagés et l’objectif est clairement affiché. Réhabilitée, la rigole va devoir rejouer son rôle initial et alimenter de nouveau la portion du canal comprise entre Rohan et Pontivy. Malgré des efforts financiers importants, ce ne sera jamais le cas ! Mais cette fois, l’équipement ne va plus être laissé à l’abandon. Mieux, les conseils généraux et la région Bretagne souhaitent désormais redonner une nouvelle vie à cet ouvrage en l’intégrant au tout nouveau schéma véloroutes et voies vertes. De fait, la rigole est naturellement venue s’intégrer à ce réseau et plus particulièrement à l’axe censé relier Saint-Brieuc à Lorient.
Des travaux cet hiver
À partir de 2008, la rigole fait l’objet d’un vaste chantier de réhabilitation, notamment sur les 47 kilomètres de sa partie costarmoricaine. Outre la création d’une voie sablée multi-randonnée, il est prévu de réhabiliter les ponts et de préserver les boisements qui bordent la rivière. Bien engagés, les travaux seront finalement stoppés avant la fin du chantier.
Au total, d’Hémonstoir à Saint-Gonnery, il reste encore un peu plus d’une dizaine de kilomètres à aménager. Dans la partie morbihannaise, comme dans celle costarmoricaine, les travaux devraient être engagés dans le courant de cet hiver. Pour le printemps prochain, l’intégralité de la rigole devrait ainsi être réalisée. Une belle revanche pour tous ceux qui avaient décidé de se mobiliser pour réhabiliter ce patrimoine, il y a déjà 30 ans.