De Bourbriac, dans les Côtes d’Armor, où il prend sa source, jusqu’à la rade de Lorient, où il se jette… le Blavet s’étire sur 163 km. À partir de l’exposition réalisée par Jérôme Lemesle, archiviste à la ville de Pontivy, nous vous proposons une série sur l’histoire d’un fleuve qui a contribué à façonner l’histoire du Centre Bretagne. Premier volet : les droits seigneuriaux.
Dans la première moitié du Moyen Âge, des familles importantes s’accaparent petit à petit la propriété sur le sol et ses ressources. En Centre Bretagne, les vicomtes de Rohan, issus de la branche cadette des comtes de Porhoët, prennent peu à peu de l’importance. Le Blavet va rapidement devenir l’un des espaces d’affirmation de leur pouvoir. La présence du fleuve est alors synonyme de richesse puisqu’elle permet l’implantation de nombreuses activités.
Au XIIe siècle, les Rohan sont les seuls détenteurs des droits d’exploitation du sol de leur fief. Ils ne les exercent cependant pas personnellement, préférant les confier à des tenanciers contre rétribution. L’ensemble des moulins et des pêcheries de leur territoire est ainsi affermé à des particuliers et le fleuve divisé en concessions et exploité. Certaines de ces concessions sont destinées à des ordres monastiques qui bénéficient des largesses des Rohan.
En 1172, des moines fondent l’abbaye de Bon Repos et reçoivent le droit d’exploiter le fleuve entre Gouarec et Tregnanton. Ils y élèvent des moulins et des pêcheries dont l’ensemble des bénéfices leur revient. En contrepartie, ils défrichent la région et contribuent à son développement économique. D’autres établissements religieux bénéficieront également de la jouissance d’un moulin ou d’une pêcherie.
Pêcheurs en colère aux Récollets
Pontivy va devenir le point central de la seigneurie des Rohan. Au XIIIe siècle, la ville devient le chef lieu de leur juridiction. La petite bourgade qui existe alors a un atout majeur : un pont que la légende attribue à Saint Ivy. Un pont dans une seigneurie traversée du nord au sud par le Blavet, fleuve qui, s’il semble tranquille et peu profond, peut connaître des crues soudaines et devenir infranchissable présente un avantage. Au milieu du Moyen Âge, le Blavet n’est traversé que par très peu de ponts et ceux-ci attirent l’attention des seigneurs locaux. Les Rohan vont donc faire bâtir un premier château à Pontivy afin de marquer leur présence sur le territoire et surveiller l’accès au pont. Puis, ils vont y établir un péage et prélever un droit de « trépas » sur les marchandises. Cet exemple est rapidement étendu aux autres ponts de la seigneurie (Gouarec, Saint-Nicolas…).
Le droit de trépas, lui aussi affermé, permet aux Rohan d’entretenir leurs ponts et d’en retirer un revenu significatif. Les prix pratiqués sont généralement indiqués par une « pancarte » à l’entrée du pont et peuvent être doublés les jours de foires.
Les moines condamnés
À partir du XVIIe siècle, les droits seigneuriaux des Rohan se retrouvent dans la tourmente. En 1671, la pêcherie des Récollets, concédée à la communauté des moines Récollets de Pontivy en 1456, est attaquée par des pêcheurs qui accusent les moines d’y avoir installé des innovations empêchant le poisson de remonter le Blavet. Ils sont soutenus dans leur démarche par la duchesse Marguerite de Rohan qui cherche à réaffirmer ses droits sur le fleuve. Les moines sont contraints de détruire leurs innovations qui sont jugées illicites.
En 1777, la question de la pêcherie ressurgit. Les moines sont accusés de s’accaparer les droits de pêche jusqu’à la cascade et d’empiéter sur d’autres concessions. De plus, la pêcherie est la cible de la communauté de ville qui l’accuse de causer des inondations. Les plaignants obtiennent gain de cause et la pêcherie est détruite dans la décennie 1780.
Le droit de Trépas est lui aussi remis en cause. Au XVIIIe siècle, le pouvoir royal tente de contrôler ce droit et demande des justificatifs aux seigneurs. Ceux qui ne peuvent en donner voient leurs droits supprimés. Les Rohan conservent leurs droits mais doivent faire face à des difficultés en raison d’erreurs d’affichage de la pancarte. À la fin du XVIIIe siècle, la communauté de ville de Pontivy attaque à son tour les Rohan sur cette question. Le pont de l’hôpital, principal lieu de passage de la ville et de ses environs, est en très mauvais état. Les Rohan, qui ont déjà dû vendre la propriété de leurs moulins en raison de difficultés financières n’ont plus les moyens de l’entretenir et le droit qui est perçu est jugé illégitime.
La Révolution met un point final au pouvoir du seigneur sur le fleuve. Les cahiers de doléances demandent la suppression pure et simple des droits de péage, de chasse et pêche et des banalités. Au cours de la nuit du 4 août 1789, l’Assemblée nationale supprime l’ensemble des droits seigneuriaux. Désormais, l’usage des cours d’eau sera possible pour tout citoyen sous contrôle de l’État.
Vue de la pêcherie des Récollets en 1781. Détail d’un plan des archives municipales de Pontivy.
Procès verbal d’organisation de la coutume du saut des poissonniers (1674). Archives municipales de Pontivy, fonds Rohan.
Marguerite de Rohan (1617-1684).
Une coutume seigneuriale liée au fleuve : le saut des poissonniers
À la fin du carême, les habitants avaient coutume d’organiser une fête cocasse, réglementée par la coutume des Rohan, appelée « le saut des poissonniers ». Les habitants de la ville allaient chercher les poissonniers qui avaient nourri la ville durant 40 jours et les conduisaient au pont l’hôpital avant de les jeter dans le Blavet qu’ils devaient alors traverser. Malheur à celui qui ne savait pas nager !