« Farpaitement… J’ai bu un chevreuil bourré ! » Il fait un tabac Gégé, au retour de la chasse, quand il explique au comptoir du coin qu’il a (presque) trinqué avec un brocard qu’il aurait presque pris pour un collègue : un chevreuil ivre. Et il ne galèje pas, le Gégé. Le chevreuil se pique vraiment la ruche. Surtout au printemps.

Bon d’accord, c’est vrai, on aurait pu l’entamer autrement l’esquisse du portrait du gentil coureur de nos bois et campagnes. Bien sûr, sa « saoulographie » reste une facette marginale de sa personnalité.

N’empêche… Les élèves de ce collège de Beauvais racontent encore l’histoire du bel animal égaré dans la cour de leur établissement et ne sachant manifestement pas ce qu’il faisait là. La gentille promeneuse qui se baladait, tranquille, en mai dernier, du côté de Saint-Brieuc n’a pas oublié sa grosse frayeur quand le brocard, réputé super trouillard, l’a chargée… Dans le Lot, plusieurs automobilistes ont aperçu, incrédules, des chevreuils titubant sur la route, dans un champ, une vigne ou même un jardin. Sans parler de celui qui divaguait dans les rues de Toulouse. Lui aussi, à l’évidence, avait un sacré coup dans le museau.

Pareil pour celui qui a mis une drôle d’animation à proximité de la maréchaussée de Lons-le-Saunier. « Le chevreuil sautait frénétiquement près de la caserne, précise dans son rapport, le gendarme encore sous le choc. Il bondissait dans un sens, ressurgissait de l’autre, se cachait dans un fourré avant de franchir à toute vitesse un massif de fleurs… Il était ici et, l’instant d’après, il était là. » Ici et Là, farpaitement, partout à la fois… tellement partout qu’il faudra deux heures et demie aux pandores pour le coffrer avant de l’inviter en cellule de dégrisement.

La petite liste des ébriétés avérées du cervidé est éloquente et l’on pourrait l’allonger à l’envie par une simple petite recherche sur la Toile. N’étant pas ici pour l’accabler, on brisera là. Juste après avoir précisé que le chevreuil ne picole pas au même comptoir que Gégé. Il se pique le museau exclusivement au printemps. Sa « picolerie » se réveille en même temps que la nature. Il se met sur le dos en se gavant des délicieux bourgeons qu’il inscrit systématiquement à cette période à la carte de ses menus préférés. Il kiffe grave les bourgeons.

Deux poignées, ça va…

Et il affiche une nette préférence pour ceux de la bourdaine, un bel arbrisseau qu’il dévalise goulument. En fermentant dans son estomac, les bourgeons produisent un alcaloïde aux effets psychotropes que certains spécialistes comparent à ceux de la cocaïne, plus « forts » donc que ceux du pinard, fut-il un solide gascogne flirtant avec les 15 chevaux. En d’autres termes, le cervidé se défonce aux bourgeons au point de (presque) devenir un autre : « bourgeonné », le farouche animal se cachant d’habitude dès qu’un bipède l’approche devient chargeur de promeneuse, bouffon de cour de collège ou provocateur de gendarmes…

Sinon, à jeun, c’est à dire la plupart du temps, le chevreuil est peinard et, on l’a dit, farouche, voire pétochard. Haut d’environ 70 cm, long de 140, il pèse entre 15 et 30 kg. Son pelage est brun-roux en été et gris foncé en hiver. Une robe discrète, pas du tout « m’as-tu-vu » donc, mais qu’il agrémente quand même d’un joli miroir, ou « rose », sur son arrière-train : une jolie tache blanche en forme de haricot chez le brocard (mâle) et en forme de coeur chez la chevrette. Oui, de coeur. Dame Nature est féminine… et féministe aussi. Elle discrimine, mais positivement. Vous admettrez avec elle que le « miroir coeur » est bien plus classieux et glamour que le « haricot » ou la paire de bois qu’elle a réservés au mâle.

Discrimineuse mais jamais oublieuse d’égalité ou de parité, Dame Nature a fait mâle et femelle égaux devant le bourgeon : deux poignées, ça va ; trois, bonjour les dégâts !