T’imagines, tu t’appelles Dupont (ou Kervella) et ta famille c’est les Branleurs. Tu fais la tronche, c’est sûr. Si, si, on te connaît un peu. Le geai, lui, il s’en fout. Sa famille, c’est les Glandeurs (garrulus glandarius)… et ben, il s’en branle. Il sait qu’il est beau, super imitateur et super reboiseur. La classe à Dallas !
D’abord, donc, il est beau monsieur geai. Et madame aussi. Toute pareille. Pour une fois, Dame Nature n’a pas discriminé « en terme de beauté », comme dit mon voisin, très à l’écoute des tendances langagières. Monsieur et madame ne se différencient que par la taille. Elle est plus petite que lui, mais tous deux ont le même joli costume, délicieusement coloré. Et attention, pas d’ostentation, surtout pas. Le couple fait dans la nuance, la discrétion, la classitude.
Le haut de la tête est rayé blanc et noir et, pour plus d’effet, la huppe est érectile. Ses plumes se dressent quand l’occasion le demande. Pour se la péter un peu discretos, par exemple. Le bec mignon se prolonge d’une jolie bande noire qui souligne le dessous de l’oeil : une sorte de moustache canaille pour lui, comme un trait de mascara aguicheur pour elle. Le corps fait dans la même nuance classieuse : le brun rosé du dessus s’accorde à merveille avec le brun légèrement plus clair du dessous. Le tout, élégance oblige, délicatement pimenté de touches plus « pétantes » : noire pour la queue, blanches pour le croupion et le bas-ventre. Sans oublier le bleu-vif et le noir, forcément jais, des grandes plumes (rémiges) des ailes. Pour résumer, quand elle ou lui entre dans le bosquet-troquet, tu peux pas la ou le louper. « Trop beaux ! », résumerait mon neveu, adepte des formules ramassées. Quand il essèmesse avec ses potes, deux mots, ça va ; trois, c’est trop !
« Trop fort »… écrirait donc dans la foulée ledit neveu pour qualifier la capacité vocale du trop beau geai. Faut dire que question ramage, le bel oiseau se pose là. Au point de ravaler Nicolas Canteloup au rangs de gentil apprenti. Son chant est infiniment pluriel et varié. Il passe du cri rauque au sifflement, au gloussement, voire au miaulement. Il cacarde, cajole, frigulote, jase… En plus du chat, il imite de nombreux oiseaux ou mammifères. Il fait très bien le cheval, par exemple. Et c’est au printemps qu’il laisse libre cours à ses improvisations en reproduisant nombre de sons entendus dans la forêt ou à sa lisière. Il utilise aussi ses talents pour alerter ses proches de la présence d’un prédateur. C’est un fameux guetteur.
4 600 glands planqués…
« Trop… trop ! » ajouterait qui vous savez en marquant fortement la suspension des trois points. Son bégaiement volontairement haché, suspendu, serait sa manière de dire toute son admiration admirative devant le rôle décisif du geai dans le reboisement. Et en l’occurrence, force est d’admettre qu’il a tout juste, mon neveu. Pour le geai, « en terme de reboisement », les superlatifs s’imposent. Le volatile est en effet épargnant compulsif. Il a des gênes Caisse d’Épargne. De peur de manquer, il thésaurise. Toute l’année, mais surtout à l’automne, il stocke sa nourriture pour l’hiver et le printemps. Et là encore, « il est trop » ! Dans la poche située sous son bec, il peut trimballer de quatre à sept glands. Et il ne lésine pas sur les voyages jusqu’à ses multiples cachettes (souches, racines, tapis de feuilles…), qu’il va jusqu’à baliser avec des petits cailloux pour mieux les retrouver. Chaque année, il planque (et plante) ainsi jusqu’à 4 600 glands, dont la moitié germent et produisent des plantules prêtes à devenir arbres. « Trop » en tout, le geai ne glande vraiment pas quand il plante ses glands. Un vrai glandeur !