Le cerf… à peine a-t-on prononcé ou écrit le nom du bel animal qu’un autre vient à la bouche ou sur le clavier : le brame. Impossible de dissocier les deux. Quand on évoque le cerf, il est forcément question du brame. On parle un peu de la bête et beaucoup de son chant d’amour caverneux. La preuve…

Quand on l’entend, ce fameux brame, pour peu que l’on ait un peu de bouteille (1), on songe presque inévitablement à Barry White. À son cri de douleur plus précisément. Celui que pousserait le chanteur à la voix de caverne, après s’être donné un coup de marteau sur un doigt en ratant le clou pour accrocher le tableau. Ou après avoir cogné son gros orteil contre le pied d’un des fauteuils de son salon. D’abord, c’est grave, très grave, très « grosse voix » le brame. Comme Barry White, qu’il chante ou qu’il crie, c’est rauque. Très rauque. Ça vient de là, de tout au fond du cerf. Il y met tout ce qu’il a. Le brame, c’est tout lui, c’est plus que lui, c’est plus fort, plus beau que lui. Un râle lugubre avec des notes de rugissement et de feulement dedans. De beuglement aussi. Sans oublier les nuances de douleur sourde, de vrai blues. Le tout enveloppé dans un voile enroué d’amour. Oui, oui, comme Barry White dans ses plus gros tubes, le cerf qui brame c’est un piégeur de filles. Un braconnier du fond des bois qui fait succomber les biches. Pas celles de Franck Alamo (2), les vraies. Celles dont les yeux sont des attrape-cerf. En résumé, le brame, s’il n’est sans doute pas que cela, c’est quand même surtout, avant tout, un chant d’amour destiné à faire craquer les biches. Même si « La biche », le joli poème de Maurice Mollinat, a longtemps donné à penser aux jeunes élèves qu’elle faisait dans le même registre, la biche, qu’elle bramait de sa douce voix. Forcément douce parce que de biche:

« La biche brame au clair de lune Et pleure à se fondre les yeux : Son petit faon délicieux A disparu dans la nuit brune »…

C’est joli, une biche qui brame sous la plume du poète parce qu’elle pleure son faon. C’est beau, mais c’est faux. Seul le lamento du majestueux porteur de bois fait trembler la campagne et succomber les jolies biches.

À la fin du bal…

Mais attention, la victoire du macho n’est pas aussi totale que la force de son inimitable cri peut le donner à penser. La biche succombe ou feint de s’incliner parce qu’elle le veut bien. Au final, en vrai, la patronne de la harde, c’est elle. Elle qui gouverne. Elle qui choisit le lieu et le moment de l’accouplement. Elle qui conduit la harde. Et la hiérarchie est clairement marquée. Quand la harde se déplace : c’est elle devant et lui derrière. C’est toujours lui qui suit, lui qui ferme la marche. On imagine sans peine combien il est vénère. Combien l’insupporte sa position de simple suiveur après qu’il a risqué jusqu’à sa vie pendant la période de rut qui court, en général, tout le mois de septembre.Il a poussé ses cordes vocales à leurs limites, il s’est collé un paquet de bastons avec les mâles lui disputant la place de boss au bal des prétendants, il a perdu une vingtaine de kilos (20 % de son poids), il a frôlé la mort quand ses bois refusaient de se démêler de ceux d’un rival. En clair, il a dépensé une énergie folle à jouer le kakou. Et pour finir, oui il a emballé à la soirée du plus macho. Lui, le cerf à la chaude voix de braise, il a conclu. Mais sur un malentendu… « un mâle entendu, un peu comme le dindon » se plaît à traduire, sourire aux babines, sa douce aux yeux séduisants. Mais, là, maintenant, à la fin du bal, le seul moment qui compte vraiment, celui où l’on paye les musiciens, c’est elle, la reine. Et la vraie patronne ne plastronne pas, elle…

1. Pour les autres : www.youtube.com/watch?v=br-Dy3puDoc

2. www.youtube.com/watch?v=skJr2fQtnNc