À 10 ans, Lucien Rault, natif de Plouguenast, montre qu’il en a sous la semelle lors des courses de kermesse du coin. Les prémices d’une carrière sportive à la longévité exceptionnelle. Rencontre avec un champion centre breton de course à pied, entré dans la légende. 

40 ans plus tard, l’œil bleu en pétille encore. Sa sélection pour le 10 000 m aux Jeux Olympiques de Montréal, en 1976, est même la toute première chose dont parle Lucien Rault au moment d’évoquer son parcours de sportif de haut niveau.
« Lors du défilé pour la cérémonie d’ouverture, j’avais le poil hérissé. Et pour les épreuves, c’était toute une foule qui criait dans le stade. Impressionnant ! », se souvient l’alerte octogénaire loudéacien. Sorti 11e des séries, « j’étais opposé à des adversaires qui auraient pu être mes enfants ». En 1976, Lucien Rault avait, en effet, 40 ans. Une blessure l’avait empêché de participer aux Jeux de Munich, quatre ans plus tôt. Certains le disaient fini, trop âgé.
« Montréal, c’est l’apothéose de ma carrière », observe Lucien, dans un grand sourire. La fierté et l’émotion y sont alors encore si palpables qu’on ne peut vraiment pas lui en vouloir de commencer par la fin… 

Lucien Rault est « tout gosse », comme il dit, quand il participe à ses premières courses. À 10 ans, le jeune natif de Plouguenast, onzième d’une fratrie de quinze enfants, s’aligne avec ses frères au départ de courses de kermesse. L’enfant du pays montre alors de bonnes dispositions sur les longues distances, qu’il remporte régulièrement. Souvent même face à des concurrents plus âgés que lui… En 1951, le jeune coureur signe sa première licence sportive au sein de l’Avant-garde de Rostrenen. Mais les débuts sont difficiles. « Gagner des courses de kermesse, c’était une chose, en club, le niveau n’était pas le même ! », analyse-t-il aujourd’hui. Le jeune homme s’accroche, travaille sa vitesse, ses arrivées… En 1960, il devient le premier licencié de la Jeunesse Sportive Plouguenast (devenue Athlétisme Sud 22). L’année suivante, il décroche, à 25 ans, son premier titre de champion de Bretagne de cross-country. « Avec une minute d’avance sur le deuxième, Alexis Chauvel de Pontivy », rappelle celui qui trustera ce titre pendant 15 années de suite. « À l’époque, le championnat de Bretagne avait particulièrement la cote. »

Pendant 35 ans, Lucien collectionne titres, sélections en équipe de France et même records. Huit fois champion interrégional de cross-country, trois fois champion de France en individuel (sur 10 000 m en 1973 et 20 km en 1973 et 1974), champion du monde de cross country avec l’équipe de France, recordman de France de l’heure et des 20 km en 1973, recordman du monde des vétérans sur 5 000 et 10 000 m en 1976… 

Mimoun et Zatopek, pour modèles

La moisson est belle pour ce fils de paysans. Ses adversaires s’appellent Noël Tijou, Michel Jazy, Jean Vadoux, Michel Bernard… En équipe de France, il côtoie l’illustre Alain Mimoun.
« Je l’ai croisé le lendemain du jour où j’ai battu le record des 20 km, lors d’un entraînement de récupération au bois de Boulogne. Il est venu me voir en me disant : « Bien petit Rault, très bien ! »,
s’en amuse encore Lucien. L’athlète breton s’est aussi senti tout petit face à une autre grand champion de la course à pied, Emil
Zatopek. « J’ai eu la chance de lui serrer la main lors d’une course dont il remettait le prix. Lui, c’était vraiment une légende ! », estime-t-il, encore admiratif.

Ce parcours et ce palmarès, Lucien Rault en a évidemment gardé tous les souvenirs. De ses premières paires de chaussures aux tee-shirts aux couleurs de l’équipe de France. Médailles et coupes, parfois un peu branlantes, sont exposées en vitrine dans sa coquette salle à manger. Les photos de l’époque se comptent par milliers, certaines bien classées dans des albums, d’autres en vrac dans des boîtes… « Vous voyez, sur celle-là, je suis avec Noël Tijou, c’était mon grand rival. À l’époque, le niveau était quand même costaud, nous étions plus d’une dizaine à passer sous les 14 minutes pour le 5 000 m. À la moindre défaillance, on pouvait vite se retrouver distancé », raconte le champion loudéacien. Dans le lot, certains clichés évoquent des souvenirs plus personnels. « Sur celle-ci, je suis avec mon épouse Maryvonne au village olympique de Montréal. Elle a toujours été pour moi d’un grand soutien !», confie Lucien, avec tendresse. 

5 km de marche tous les jours

C’est son épouse mais aussi les dirigeants de la JS Plouguesnat (Guy Rault, Guy Hervé, André Martin…), qui l’ont notamment remotivé après sa déconvenue pour les qualifications aux JO de Munich en 1972. « J’avais prix un coup au moral. » Toute sa carrière, Lucien est resté fidèle au club dont il a été le premier licencié. « Je m’y trouvais bien, l’équipe, le médecin, tout le monde s’occupait bien de moi », indique celui qui a mené de front carrière sportive et vie professionnelle comme agent d’entretien au lycée de Loudéac. Certains se souviennent peut-être l’avoir croisé lors de ses deux entraînements quotidiens, 12 km le matin, 12 km l’après-midi, sur la voie verte de Loudéac. Ce n’était alors qu’un étroit passage le long de la voie ferrée… « Lorsque la micheline arrivait, le conducteur m’avertissait en donnant un coup de klaxon. J’avais alors intérêt à m’arrêter, c’était dangereux ! » 

À 82 ans, Lucien ne court plus. Mais il marche tous les jours, 4 à 5 km, et toujours le long de cette voie verte. Depuis deux ans, le stade de Plouguesnat porte désormais son nom. « Ça aussi, c’est quand même une sacré fierté ! », avoue le champion centre breton. Au moins autant que les JO… 

 

Les cinq moments forts de sa carrière

Difficile de donner le palmarès exhaustif de Lucien Rault. 

Faute de place, on lui a donc demandé les moments qui l’ont le plus marqué dans son parcours. Son top 5 : 

• Sa participation aux JO de Montréal en 1976. 

« Le minima pour le 10 000 m était fixé à 28’50’’. J’ai fait 28’30’’ », indique Lucien. 

• Le titre de champion de France de cross-country, décroché à 38 ans, en mars 1974.

• Son premier titre de champion de France du 10 000 m en 1973.

• Son record de France des 20 km en 1973, en 59’11’’, qui tiendra jusqu’en 1989. 

• La victoire aux championnats du monde par équipe de cross-country, le 26 mars 1978, à Glasgow. « Avec deux points d’avance sur les Américains. C’était le premier titre par équipe dans l’histoire du cross français, un grand bonheur… »

À lire : « Lucien Rault, une légende bretonne», par Jérôme Lucas, aux éditions Récits.