Chapelle Saint-Nicodème
Saint-Nicodème fait partie de ces édifices que l’on peine à appeler « chapelle », tant sa stature est imposante, son clocher élancé et ses ornements sculptés délicats. Autant d’atouts justifiant l’arrivée en juin dernier de sa première étoile au guide Michelin.
De fait, dans l’imaginaire collectif le terme « chapelle » renvoie à un édifice de taille réduite, mais ces lieux de culte si nombreux au Pays des Rohan font preuve d’une très belle liberté quant à cette idée fixe. Il n’y a pas de forme architecturale attendue pour les chapelles. Elles peuvent aussi bien être de discrètes constructions reprenant les formes des fermes qui les entourent (le clocher en plus), que de monumentales oeuvres d’art déployées grâce aux financements de la noblesse et au soutien de l’Église. A Saint-Nicodème, plusieurs grands noms gravitent autour de l’édifice. Les Kerveno, puissante famille du territoire de Pluméliau, ont laissé leur nom sur l’une des poutres sablière de la chapelle, ainsi qu’une date : 1550. Ils sont les principaux financeurs de l’édifice, dans la première moitié du XVIe siècle. Le blason des Rimaison allié aux Guengat figure aussi en haut du grand retable du choeur. Faire construire une chapelle est un acte de dévotion important et reflète aussi un positionnement politique. En l’occurrence ici, les Kerveno affirment leur appartenance à une élite sociale, car Saint-Nicodème est liée à une famille d’édifices inspirée des formes architecturales de la cathédrale de Vannes. Dans cette même famille se trouvent 2 autres chapelles dédiées à la Vierge, situées à Locmaria en Melrand et à Quelven en Guern. La basilique d’Hennebont et la chapelle disparue Notre-Dame-de-la- Clarté à Baud sont aussi à rattacher à cet ensemble. Comparez les tours de ces édifices et vous y trouverez la même volonté d’élancement vertigineux : 50 m de haut à Saint-Nicodème. S’y retrouve la même finesse dans les détails sculptés, notamment la dentelle de pierre à l’intérieur du grand arc, à la base du clocher porche. Observez aussi les portails ouest ou sud de ces édifices et vous retrouverez deux portes liées par un pilier central, sur lesquelles se dessinent deux arcs en accolade, l’ensemble surmonté d’un fronton ajouré tel un vitrail. Au sein de ce dernier, le réseau de pierres dessine d’élégantes formes propres au style gothique flamboyant de la fin du Moyen Âge, dont une très belle fleur de lys à Saint-Nicodème. Quelques touches du style Renaissance ancrent aussi la chapelle dans une modernité valorisante pour ses mécènes, notamment la forme octogonale à la base de la flèche qui confère au clocher un profil unique, visible à plusieurs kilomètres alentour. Cette forte marque de la noblesse n’empêche pas la chapelle d’entretenir une vraie proximité avec les habitants de la campagne alentour. Les saints qui y sont priés ont tous un lien fort avec l’activité des paysans. Une sculpture représente saint Isidore avec une gerbe de blé. Au Xe siècle, il aurait été vu en prière pendant que ses boeufs labouraient seul le champ. Par ailleurs saint Cornély, pape à Rome au IIIe siècle de notre ère, est le protecteur des bêtes à cornes. Fuyant les persécutions de l’armée romaine, il se serait caché dans l’oreille de son boeuf. Une représentation sculptée du saint et de ses boeufs est présente dans la chapelle, et une fontaine de la fin du XVIIIe siècle lui est spécialement dédiée.
Claire Tartamella
Animatrice de l’architecture et du patrimoine
Pays d’art et d’histoire des Rohan
Une Fontaine de dévotion unique
Composée de trois bassins surmontés de 3 pignons à crochets, la fontaine à proximité de la chapelle atteint elle aussi des dimensions rarement égalées. Elle est dédiée à Saint-Nicodème, Saint-Gamalièle et Saint-Abibon. Les seigneurs de Kerveno en sont également commanditaires dans la seconde moitié du XVIe siècle. L’un d’eux est représenté à genoux, à proximité de la niche centrale, où la statue de Saint-Nicodème était exposée. Dans cette même niche la représentation d’un boeuf rappelle cette double vocation de la chapelle, à la gloire des nobles et au service des paysans. La dimension d’une telle fontaine et la théâtralité de l’escalier édifié à proximité au XVIIIe siècle, laisse imaginer l’affluence autour de la chapelle le premier dimanche d’août, pour le pardon.