Depuis maintenant plus de dix ans, Karine et Philippe Jouan fabriquent des crèmes glacées à partir du lait bio de l’ancienne exploitation familiale, à Cléguérec. Une diversification réussie au pays de la terre bleue.
Douaroù glaz… terres bleues en breton ! Comme la couleur de celles du hameau de Kerantourner, dans la commune de Cléguérec. Une terre aux reflets schisteux exploitée et travaillée par ses parents et où il est né. Une terre qu’il a lui même exploitée, à partir de 1997, en reprenant la ferme familiale avec son frère. Sur une exploitation de 65 ha, ils élèvent alors une soixantaine de vaches laitières. Mais le modèle ne leur convient guère. Dès 1999, les deux jeunes hommes décident donc de se convertir à l’agriculture biologique. « C’était un choix personnel, mais aussi économique », se souvient Philippe Jouan.
Les débuts sont prometteurs. Mais trois ans plus tard, la conjoncture devient beaucoup moins favorable. L’offre de lait bio est supérieure à une demande encore naissante et, forcément, le prix baisse. « Nous faisions un bon produit mais les coopératives ne le valorisaient pas à sa juste valeur », assure Philippe. Avec sa femme Karine, qui vient de le rejoindre au sein de l’exploitation, il comprend rapidement qu’il va falloir se diversifier. Reste à trouver la bonne idée, celle qui pourra être concrétisée. Les pistes visant à transformer la production laitière en yaourt ou en fromage, sont rapidement abandonnées.
Au lait fermier
Ce sera finalement la crème glacée. « Il n’y avait pas encore beaucoup d’artisans glaciers et surtout, nous en faisions déjà un peu pour les clients du gîte d’hôtes que nous développions aussi à la ferme », précisent-ils. Un peu juste tout de même pour se lancer dans une production, certes artisanale, mais qui nécessite une réelle technicité.
C’est dans le sud de la France, auprès d’un retraité du métier qui accepte généreusement de communiquer son savoir-faire, qu’ils vont se familiariser avec les secrets de fabrication de la glace et du sorbet. Et pour trouver un nom, les nouveaux artisans glaciers ne vont pas hésiter bien longtemps. Ce sera bien évidemment « Terres Bleues ».
Le laboratoire est immédiatement construit à proximité de l’exploitation et les premières glaces sont fabriquées au printemps 2003. Elles le sont bien évidemment avec le lait bio de la ferme. Pour les autres ingrédients (beurre, crème, sucre, arômes, purées de fruits…), ils privilégient les circuits courts et les producteurs régionaux. D’entrée, leur gamme de base, composée pour les deux tiers de crèmes glacées et pour l’autre tiers de sorbet, compte déjà plus de 25 parfums. Conditionnée dans des bacs de 2,5 litres et de 5 litres, la production est alors exclusivement vendue aux professionnels, glaciers et restaurateurs.
100 000 litres par an
Le succès est rapidement au rendez-vous et dès la fin de la première année d’exploitation, ils décident d’attaquer le marché des grandes et moyennes surfaces avec des conditionnements plus petits, de 500 ml à un litre. Là encore, si le prix de vente est un peu plus élevé que celui des glaciers industriels, la qualité séduit le consommateur. Elle est bien évidemment liée à celle des produits utilisés. Mais elle doit aussi au processus de fabrication qui comprend deux phases bien distinctes : la pasteurisation où le mélange d’ingrédients (le mix) est chauffé à 85° avant d’être refroidi à 4° ; la maturation où le mix est passé dans la machine à glace afin de faire foisonner le produit, c’est-à-dire lui injecter de l’air.
« C’est une opération obligatoire sinon la glace serait dure comme de la pierre, explique Philippe. Cela permet également de la rendre plus onctueuse. »
Si l’expérience se révèle rapidement être une réussite, la tâche est lourde. Pour se consacrer exclusivement à la fabrication de crème glacée, le couple décide finalement de vendre l’exploitation agricole. Il continue toutefois d’acheter le lait auprès des nouveaux propriétaires qui ont poursuivi la filière bio. Parallèlement, il développe très largement la gamme des produits qui compte aujourd’hui 55 parfums. « Nous innovons régulièrement. Il y a des échecs comme celui du chocolat-lambig, mais également et fort heureusement des succès », sourit Philippe. La dernière création, une glace à la vanille marbrée avec du caramel au beurre salé, baptisée « Vanille Breizh », fait partie de ceux-ci. À peine mise en rayon, elle se taille déjà un beau succès.
La multiplication des parfums s’accompagne d’une diversification des produits. Depuis quelques années Terres Bleues propose aussi des gâteaux glacés, des bûches, des verrines ou encore des omelettes norvégiennes. Désormais renforcée par trois salariés, l’entreprise produit annuellement plus de 100 000 litres de crème glacée et apparaît sur les étals d’environ 250 points de vente en Bretagne. Résultat, depuis la création, le chiffre d’affaires a été multiplié par dix et a dépassé les 400 000 €, l’an passé.
L’activité demeure toujours liée à la saisonnalité et l’entreprise artisanale de Cléguérec réalise ainsi 60 % de son chiffre entre mai et septembre et 25 % à l’occasion des fêtes de fin d’année. Mais depuis 2012, elle bénéficie également d’une notoriété et d’une visibilité beaucoup plus grande, grâce à son adhésion à l’association « Produit en Bretagne ». Et si en plus, le printemps et l’été breton avaient la bonne idée d’être ensoleillés, les artisans glaciers seraient assurément comblés…